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qu’impatient, j’attends à la tête de l’armée, entouré de bons Portugais, fidèles amis de votre majesté, qui mettent autant que moi leur espoir dans vos sublimes vertus, la décision royale de votre majesté pour l’approbation de ma résolution. Je supplie votre majesté de se rappeler qu’il n’y a pas de temps à perdre, et que la célérité ne fut jamais plus nécessaire. Je prie Dieu de faire prospérer la vie de votre majesté pendant un long cours d’années.

« Miguel. »

Le monarque désolé ne savait rien des évènemens. Livré à la terreur la plus profonde et abattu sous le poids de l’attente et de l’anxiété, il n’avait pas même la force de s’informer de ce qui se passait. À onze heures, la reine arriva de Queluz, escortée par un régiment de cavalerie que lui avait envoyé l’infant. Elle criait au peuple qu’on avait voulu tuer le roi, mais sa physionomie était radieuse, et elle souriait en agitant son éventail et en quêtant des vivats. Devant elle les obstacles s’aplanirent, et elle monta rapidement à l’appartement du roi. Bientôt lord Beresford arriva ; don Miguel l’avait autorisé à se rendre à Bemposta.

Cette faveur exceptionnelle et les conseils qu’il donna pendant la crise pourraient faire présumer que lord Beresford était complice du prince ; cependant il serait peut-être injuste de dire que le maréchal ait tenté de détrôner son bienfaiteur, le roi Jean VI. Ennemi constant du comte de Subserra, lord Beresford venait de se brouiller avec le duc de Palmella ; les cortès lui avaient retiré son pouvoir, et tant que les constitutionnels et les afrancesados auraient conservé quelque influence, il ne pouvait espérer de le ressaisir ; il était donc naturel, pour ces raisons et pour d’autres qu’il désirât le triomphe du parti de la reine et sympathisât avec l’infant. Aussi s’efforça-t-il de persuader au roi de monter avec lui dans une calèche découverte, et de passer les troupes en revue. Son but était de mener Jean VI au Roscio, de lui faire sanctionner toutes les mesures de l’infant, d’affermir ainsi le pouvoir du prince, et de devenir lui-même un arbitre nécessaire entre le père et le fils. Mais la timidité de Jean VI, qui lui faisait craindre toute espèce de démonstration et de mouvement, le sauva cette fois de sa perte, et donna au corps diplomatique le temps d’arriver.

M. de Neuville, en apprenant les singuliers évènemens de la nuit, avait convoqué tous les envoyés des puissances étrangères chez le nonce du pape. Il leur proposa de se rendre ensemble auprès du roi. Le nonce, homme singulièrement pieux et qui ne se mêlait d’aucune intrigue, déclara qu’il suivrait partout un guide tel que M. l’ambassadeur de France ; le ministre d’Angleterre et tous les autres diplomates se joignirent à lui avec un abandon généreux. L’envoyé des États-Unis fit remarquer que la diplomatie américaine s’occupait peu des usurpations européennes. « Mais, s’écria M. de Neuville, c’est le plus honnête homme de son royaume qu’il s’agit de sauver ! c’est un père que son fils veut assassiner ! » — « Je vous suivrai donc ! » répondit le