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LE PORTUGAL.

dénoncent les coupables. On reconnaît que le chef de la conjuration était une femme d’un esprit vif et pénétrant, fécond en intrigues, mais que l’aveuglement de la passion, un excessif orgueil et sa position même rendaient impropre à mesurer les obstacles. On sent que ses associés et ses confidens étaient hors d’état de combiner et d’exécuter un plan suivi ; on voit enfin que tous ces projets d’une audace effrontée étaient mis en œuvre par un jeune prince dont l’esprit était aussi léger et insouciant que ses instincts étaient turbulens et cruels.

L’ordonnance du 4 mai ouvrit une libre carrière aux conjurés. Tous les hommes énergiques que l’on avait oubliés le 30 avril furent arrêtés, et une nouvelle terreur accabla Lisbonne. L’infant se mit à opérer lui-même les arrestations ; il allait dans les maisons arracher les honnêtes gens au milieu de leurs familles ; il les poursuivait à cheval dans les rues ; il menaça même d’assiéger l’hôtel de l’ambassade de France pour en enlever M. de Subserra ; et, quand il apprit que ce dernier s’était enfui à bord d’un bâtiment anglais, il courut de toute la vitesse de son cheval vers la tour de Saint-Julien, et fit canonner le paquebot qui sortait du Tage. Le sauvage infant ne respectait plus rien ; il n’y avait de sûreté pour personne, et les ministres étrangers déclarèrent que, si un semblable état de choses se prolongeait, ils seraient forcés de se retirer avec tous leurs nationaux. Les forteresses qui avaient suffi à contenir les victimes de la tyrannie du marquis de Pombal étaient trop étroites pour tant de prisonniers.

Une pareille situation ne pouvait durer. Le peuple commençait à manifester un froid mécontentement et soupçonnait la trahison. Les nouveaux chefs de corps avaient peine à maintenir leurs soldats ; et si, dans la première période, le temps seul avait donné de la puissance au complot, la prolongation d’un état si violent perdait les factieux. Les conjurés durent désespérer de tromper plus long-temps la nation ; ils obéirent à une impitoyable logique, et résolurent de faire plier l’opinion publique sous une terreur plus forte. Mais ils craignaient que le peuple de Lisbonne ne se soulevât, s’il était témoin de scènes sanglantes, et ils prirent le parti d’envoyer à la forteresse de Peniche ceux qu’ils destinaient à la mort. Le jeudi 6 mai, le comte de Villaflor et plusieurs prisonniers furent tirés du château Saint-George ; un grand nombre d’officiers furent aussi envoyés de Belem à Peniche. Le lendemain, quarante-sept nouvelles voitures de prisonniers partirent de la tour de Belem. Le général Vasconcellos commandait à Peniche ; on lui fit l’honneur de le destituer. Le décret du 4 mai rendait facile tout assassinat juridique. La mort de tant de braves gens était donc imminente. Il n’y avait pas de temps à perdre pour les sauver. Que faisaient le peu d’hommes de cœur restés libres ? Ils attendaient. On s’indigne de leur patience ; peut-être la situation ne permettait-elle pas de prendre un plus noble parti : s’insurger contre une autorité qui n’avait pas été désavouée par le roi, c’était prêter un corps à la chimère du complot maçonnique, s’aliéner le peuple et l’armée, assurer la perte des prisonniers et la leur. Mais que le roi eût dit un mot, le peuple, l’armée et les absolutistes