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Pour tenir tête à Caravage, Josépin eut l’art de conquérir la bienveillance et jusqu’à l’amitié de tous les papes sous lesquels il vécut, de se procurer dans toutes les villes d’Italie des protecteurs et des porte-voix, puis enfin de rajeunir et de discipliner ses sectateurs par l’invention d’un nouveau symbole, d’un nouvel article de foi. Caravage avait proclamé le naturalisme, Josépin inaugura l’idéalisme.

Ces deux mots une fois lancés dans le public, on se battit à outrance ; jamais peut-être querelle aussi envenimée n’avait troublé le domaine des arts. Ce serait une longue et dramatique histoire que le récit de cette controverse. Des flots d’encre coulèrent, et le sang même fut répandu, car le chef des naturalistes n’entendait pas raillerie, et, dans ce bruyant conflit d’argumens et de théories contradictoires, il trouvait quelquefois plus commode et plus prompt de répondre à coups de dague ou de stylet.

Ce qu’il importe de remarquer, c’est l’étrange abus qu’on faisait de ces mots idéal et naturel. Pour le Josépin, l’idéal n’était ni le beau, ni le vrai, ni le pur par excellence, c’était le chimérique, le conventionnel, l’arbitraire. Et quant à Caravage, ce qu’il appelait le naturel n’était autre chose que le trivial. Le Josépin, aussi bien que Caravage, avait le plus parfait mépris pour l’antique, et Caravage, pas plus que le Josépin n’aurait jamais consenti à imiter purement et simplement la nature, sans la farder, sans la systématiser. Il ne respectait pas même ce qu’il y a de plus sacré pour un peintre dans la nature, la lumière du jour ; il lui fallait une lumière de convention. Les murs de son atelier étaient barbouillés de noir, et il ne laissait pénétrer la clarté que par une étroite ouverture pratiquée près du plafond, afin d’éclairer vivement quelques parties de ses modèles, en laissant tout le reste dans une profonde obscurité. Ainsi, pour imiter la nature, il commençait par la déguiser : l’amour du factice et de l’artificiel avait pénétré si avant dans tous les esprits, que les plus indépendans ne pouvaient abandonner une manière sans retomber dans une autre.

Tel était l’état des choses vers les premières années du XVIIe siècle : d’un côté, Caravage, dans toute la fougue de ses innovations, de l’autre, Josépin ranimant, réchauffant, à force d’adresse, les vieilles traditions académiques ; puis, au milieu, les Carrache se posant en médiateurs, ne donnant raison à personne, contentant un peu tout le monde, et s’appuyant particulièrement sur les hommes qui ne veulent pas se compromettre, et qui, devant un tableau, sont bien moins préoccupés du besoin d’être émus que de la crainte de mal juger.