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REVUE DES DEUX MONDES.

UNE VOIX.

La Terre est conviée à des fêtes prochaines,
L’ombre antique s’efface, et l’esprit rompt ses chaînes ;
Hommes, ne pleurons pas sur nos dieux qui sont morts,
Saluons leur sépulcre, et partons sans remords !
Aux vieux troncs consumés par le temps et la foudre
Succède un bois plus vert engraissé de leur poudre ;
La forêt d’âge en âge a des jets plus puissans,
Et nous pourrons à l’ombre y reposer mille ans.
Jamais le ciel n’est vide, et les races divines
En fécondent le sol sous leurs saintes ruines ;
Leur grande ame s’épure au fond de ces tombeaux ;
D’autres dieux vous naîtront plus jeunes et plus beaux.

Quand le voile est tombé jusqu’aux pieds de l’amante,
Qu’elle résiste encor dans sa pudeur charmante,
L’amant regrette-t-il, en voyant ses beautés,
Les fleurs, la pourpre et l’or de son sein écartés ?
Homme, la blanche vierge à tes mains interdite,
Que tu dois pressentir sous le voile du mythe,
La douce Vérité, cédant à ton amour,
Arrache de son corps un voile chaque jour ;
Chaque jour elle veut qu’on voie ou qu’on devine
Quelques graces de plus dans sa forme divine.
C’est ton amante encor sous des habits nouveaux ;
Au lieu de la déesse, aimais-tu ces lambeaux ?

Laisse, artiste sacré, crouler tes vieux modèles
Sans détacher ta main de tes marbres fidèles ;
Vers l’Olympe désert ne tourne plus les yeux,
Regarde dans ton cœur : c’est là que sont les dieux.
Vois comment le grand tout se sculpte et se transforme,
Vois les nids s’enlacer aux bras du chêne énorme,
Vois les taureaux bondir, vois danser sur les prés
Les filles aux doux yeux ; dans les couchans dorés,
Vois saillir des grands monts les arêtes chenues,
Et la pourpre échancrer le noir profil des nues.
Glane, ô puissant frelon, par tout notre univers
La forme et la couleur, trésors toujours ouverts.