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dont il avait écrit la théorie dans son Génie du Christianisme ; après la poétique venait le poème. Et puis, que de trésors l’écrivain avait amassés pour l’exécution ! Quelle connaissance exquise des lettres antiques ! Quel art pour tout s’approprier, depuis Homère jusqu’à Tacite, depuis Simonide jusqu’à Symmaque ! Dans sa partialité inévitable pour la religion chrétienne, M. de Châteaubriand n’est pourtant pas tombé dans le grossier contre-sens de méconnaître la grandeur de l’antiquité : il a cherché au contraire l’harmonie de son poème dans un contraste habilement équitable entre les deux religions, et il a mérité cette louange, décernée par un ami, d’avoir associé

Ce qu’Athène a de plus aimable,
Ce que Sion a de plus grand[1].

M. de Châteaubriand a lui-même indiqué à ce sujet sa pensée et sa méthode avec un art infini. « On reconnaissait dans le langage de Cymodocée, dit le poète, les accens confus de son ancienne religion et de sa religion nouvelle ; ainsi, dans le calme d’une nuit pure, deux harpes suspendues aux souffles d’Éole mêlent leurs plaintes fugitives ; ainsi frémissent ensemble deux lyres, dont l’une laisse échapper les tons graves du mode dorien, et l’autre les accords voluptueux de la molle Ionie ; ainsi, dans les savanes de la Floride, deux cigognes argentées, agitent de concert leurs ailes sonores, font entendre un doux bruit au haut du ciel ; assis au bord de la forêt, l’Indien prête l’oreille aux sons répandus dans les airs, et croit reconnaître dans cette harmonie les voix des ames de ses pères[2]. » Voilà des pensées, des images, des chants dignes d’un poète : on le sent inspiré par cette impartialité supérieure qui reconnaît et glorifie le beau et le vrai partout où ils se trouvent, dans Platon comme dans la Bible, sous le bouclier de Minerve ou sous la croix de Jésus-Christ.

Contre l’écueil si heureusement évité par M. de Châteaubriand, M. Guiraud n’a pas manqué de se briser, Il prend parti contre l’antiquité avec un emportement qui lui ôte toute liberté d’esprit pour juger et pour peindre. Tout est affreux, à l’entendre, du côté du polythéisme, et, pour le prouver, il choisit le troisième siècle de l’ère chrétienne. Il n’y a là ni équité ni intelligence. Quatre siècles séparent Auguste de Constantin : c’est pendant ces quatre siècles que

  1. M. de Fontanes.
  2. Les Martyrs, liv. XVIII.