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D’autres ont écrit l’histoire avant le déluge ; voici quelque chose de plus rare, c’est l’histoire avant le premier homme. M. Guiraud est en état de nous l’écrire, car il a appelé Dieu en lui dans la solitude et le silence. Nous verrons bien, comme dit Alceste. Au commencement des commencemens furent formés les deux élémens constitutifs de tous les êtres, deux ciels, un ciel spirituel, un ciel sensible, qui représentent l’esprit et la matière, l’ame et les sens, l’idée et la forme. Dans le ciel spirituel étaient les anges, et l’histoire commence pour M. Guiraud par le monde angélique.

Ne perdons pas de vue que dès l’origine l’esprit et la matière étaient en présence ; l’ange, qui était tout esprit, eut le malheur de se tourner vers la matière : Il y adhéra, il l’enlaça, et se jeta sur ses germes pour se les approprier en les souillant. Cette inclination si prononcée de l’ange pour la matière eut les inconvéniens les plus graves. Il se trouva que l’ange avait jeté sa nature toute spirituelle au milieu du mouvement des atomes, et que, semant le trouble dans leurs opérations, il brouilla leurs rapports. Qu’arriva-t-il ? Tous les germes furent agités, échauffés ; il y eut des éclosions subites et incomplètes, il y eut des avortemens. Cela fut d’autant plus regrettable, que le premier ange, l’archange, avait fait d’autres anges ; ils les avait faits tout seul par un engendrement spirituel ; des millions de légions d’anges éclos de son souffle fécond peuplèrent les cieux. À la vue de cette radieuse et infinie progéniture qu’il ne devait qu’à lui-même, l’archange s’enorgueillit ; c’est alors qu’il s’abattit sur la matière, et qu’il y eut mixtion entre elle et lui, puis entre lui et Dieu révolte. L’archange était devenu Satan.

Ce qui nous plaît chez M. Guiraud, c’est qu’il n’hésite pas dans le récit de toutes ces belles choses ; il affirme, on dirait qu’il a tout vu. Ainsi notre auteur nous raconte comme un témoin oculaire l’embarras dans lequel se trouvèrent les anges quand ils virent celui qui les avait procréés en révolte contre Dieu. Ils durent choisir entre Dieu et Satan. Ceux qui préférèrent suivre leur archange produisirent dans la matière de nouvelles révolutions ; en la pénétrant, ils concoururent à la difformité des espèces. Il y eut de monstrueux enfantemens, et la puissance satanique porta le trouble dans le monde primitif. Ce chaos ne pouvait être éternel. Par l’action de la puissance divine, la lumière brilla dans les ténèbres et sur la surface des eaux ; mais le feu demeura à Satan, qui dut peu à peu se renfermer dans les entrailles de la terre, ce qui explique, au dire de M. Guiraud, le feu central des géologues du XVIIIe siècle. Dieu, accor-