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LES GYPSIES.

La vérité est si belle, elle est si bien le fond de l’art comme de l’histoire, et la source nécessaire qui fournit même à l’idéal ses plus rayonnans prestiges, que les fragmens de vérité inconnue révélés par M. Borrow dans son ouvrage confus et quelquefois romanesque ou ignoble lui donnent une valeur importante. C’est un fait que l’histoire ne doit pas assurément négliger, que cette preuve d’une dernière migration hindoustanique, preuve indubitable et attestée par le langage actuel des gypsies. Il semble, grace à ces documens nouveaux, que le regard du philosophe puisse pénétrer au loin, par une échappée de vue, dans les profondeurs des temps obscurs. Sans doute, ces zinkali, les derniers représentans des essaims voyageurs qui ont peuplé l’Europe, sont des misérables sans pain, sans asile, sans foi, sans affinité avec nous. Ils vivent dans les plus affreuses solitudes et dans l’exercice calculé de tous les vices. Mais ils ont gardé la parole héréditaire, le témoin vivant de l’histoire, et avec ce verbe puissant, qui est le symbole des races, toutes leurs traditions.

Ainsi la vie des familles humaines est plus durable et plus solide que les philosophes ne l’ont pensé. Ainsi les institutions et le langage pétrissent l’ame de l’homme avec une puissance irrésistible, et qui serait éternelle si le croisement des races et leur mélange ne jetaient dans les annales du monde une variété rénovatrice. Quiconque a vécu sans sympathie et sans renouvellement, homme ou race, a été condamné par Dieu même ; c’est l’anathème des anciens Hébreux ; c’est celui des zinkali.


Philarète Chasles.