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enchanté de ses déductions, qu’il ne songeait pas même à hésiter quand elles le conduisaient à voter des lois sanguinaires ? Non, la nature humaine n’est pas ainsi faite ; ou du moins s’il y a des ames exceptionnelles dont la trempe est si forte, que rien en elles ne peut ébranler une conviction, M. de Bonald n’était pas de ce nombre. Son cœur ouvert aux plus douces affections de la famille et de l’amitié, sa raison éclairée par le christianisme et nourrie des préceptes de l’Évangile, ne le rangeaient pas dans cette classe d’apôtres implacables qui veulent par-dessus tout le triomphe de leurs opinions, qui font le crime avec désintéressement, et qui, pour prix de leur fidélité à des principes faux, perdent jusqu’au sens moral et oublient les premiers sentimens de l’humanité. Si M. de Bonald, chéri de tous ceux qui l’ont familièrement connu, a constamment provoqué les mesures les plus impitoyables, s’il a fait de l’opposition de droite sous la restauration, si, dans la discussion de la loi du sacrilége, il a pu prononcer ces terribles paroles qui font de la peine de mort un préliminaire de la procédure, et abusent du droit de tuer jusqu’à y recourir avant le jugement, ce n’est pas sur de simples raisonnemens, ce n’est pas sur la théorie la plus chèrement aimée, qu’ont pu s’appuyer des convictions si robustes. M. de Bonald n’est ni un enthousiaste, ni un homme passionné ; mais les natures les plus impassibles sont soumises pourtant aux lois générales qui nous gouvernent, et tout sage, tout réservé, tout logicien qu’il était, M. de Bonald obéissait autant à ses sentimens qu’à ses principes. En philosophie le plus souvent, en politique toujours, les sympathies précèdent les convictions, et les convictions ne sont fermes que quand elles s’appuient sur des passions et des sentimens invétérés. Le logicien le plus austère peut s’arrêter ou changer ; mais nos passions et nos sentimens nous forment peu à peu comme une seconde nature, que nous ne pouvons plus renier sans cesser d’être nous-mêmes, et qui souvent exerce sur notre raison un empire d’autant plus funeste que notre raison l’ignore. Que l’on songe un instant à la vie de M. de Bonald et aux temps où il a vécu. De race noble, il se voit placé presque enfant dans l’armée et la cour ; les premiers cris de révolte sont, pour ceux qui l’entourent, des cris séditieux, abominables ; chrétien fervent, il voit proscrire la religion et profaner le sanctuaire ; royaliste, on assassine son roi ; noble, on proscrit sa caste, on abolit ses priviléges héréditaires ; frappé lui-même dans sa fortune et dans ses affections, il passe dans l’exil, et presque dans la misère, la partie la plus florissante de sa jeunesse. Comment les idées révo-