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EUSTACHE LESUEUR.

Lesueur une vive émulation, chez Lebrun c’était de la jalousie. Les préférences de Vouet en avaient été la première cause ; son caractère impérieux, dominateur, avait fait le reste.

Le retour de Lebrun était un évènement dans la vie de Lesueur. Il voyait son ancien camarade arriver chargé de sa moisson d’Italie, soutenu par l’autorité de son voyage, précédé d’une réputation que sa présence allait encore ranimer. Il entendait dire, non sans quelque émotion, que le Poussin l’avait pris en affection particulière, et pendant son séjour à Rome l’avait guidé dans ses études. Ajoutez enfin l’accueil que reçut à la cour le protégé de M. le chancelier ; la reine-mère lui demandant un tableau pour son oratoire ; le cardinal Mazarin le présentant au jeune roi ; le surintendant Fouquet lui confiant la décoration de son château de Vaux avec 12,000 livres de pension, et tout cela en quelques jours, comme pour sa bien-venue ! Il y avait de quoi porter le découragement au cœur de Lesueur, si la conscience de son talent ne l’avait soutenu. Il n’en conçut que plus d’ardeur pour son art. Ne pouvant suivre Lebrun dans les palais royaux, qui ne lui étaient pas ouverts, car ses œuvres n’avaient encore pu pénétrer que dans les communautés religieuses, dans les églises et dans quelques maisons particulières, il choisit pour lutter avec lui un terrain sur lequel il pouvait le rencontrer.

Lebrun avait fait l’année précédente ce qu’on appelait alors le tableau du May. C’était l’usage que chaque année, le 1er  du mois de mai, la confrérie des orfèvres, en souvenir d’une ancienne dévotion, fit offrande à l’église Notre-Dame, d’un grand tableau religieux. Les peintres les plus renommés recherchaient l’honneur de faire ces tableaux, dont l’exposition était entourée d’une grande solennité. Lebrun avait pris pour sujet le Martyre de saint André, et son tableau, exécuté par lui en Italie avec un grand soin et une grande dépense de savoir et d’imagination, avait contribué puissamment à lui préparer cette célébrité toute faite qui l’attendait à son retour. Lesueur ne pouvait trouver plus belle occasion de se mesurer avec son rival. Il se présenta pour peindre le May de l’année suivante (1649), et il eut le bonheur d’être choisi.

Cette fois, son succès fut complet ; le saint Paul prêchant à Éphèse fit pâlir le saint André : il est vrai que, sans rien sacrifier de sa pureté accoutumée, sans se permettre aucune exagération, aucun oubli de la vérité, Lesueur n’avait rien négligé de ce qui pouvait donner de l’éclat à sa composition, et produire sur le spectateur une sensation profonde. Il y a dans ce tableau un mouvement, une chaleur de