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EUSTACHE LESUEUR.

s’adressa pour exécuter les peintures. Mais Lebrun ne voulut se charger que de la galerie où devaient être tracées l’histoire d’Hercule et son apothéose. M. de Thorigny eut alors l’idée de proposer à Lesueur les autres appartemens. Lesueur consentit, bien qu’il lui fallût sortir de ses études ordinaires, des habitudes de son talent et des inclinations de son esprit, pour suivre son adversaire dans un genre où celui-ci prétendait exceller, dans le champ de la fable et de l’allégorie. Rien ne peut donner une plus juste idée de l’admirable organisation de Lesueur, rien ne fait mieux connaître la souplesse de son esprit et son aptitude à percevoir la beauté sous toutes ses formes, que les charmantes et si nombreuses compositions créées par lui pour cet hôtel Lambert. Son imagination presque dévote accepta sans restriction, quoique avec une chaste réserve, toutes les données de la mythologie : il semblait qu’il voulût frayer la route à Fénelon pour passer du cloître dans l’olympe, en lui apprenant comment on peut mêler au plus sévère parfum d’antiquité cette tendresse d’expression et cette sensibilité pénétrante qui n’appartient qu’aux ames chrétiennes. Aussi vous ne trouvez dans ses figures de dieux et de déesses ni les sévérités de la statuaire antique, ni les mignardises des danseuses de ballets ; c’est un type à part, une forme qu’il a trouvée, et qui n’a pas seulement l’attrait de la nouveauté, mais le charme d’une douce pureté de lignes, constamment unie à la grace de l’expression[1].

Il était bien difficile qu’on restât insensible à de si séduisantes créations. Les partisans les plus outrés des lois académiques ne pouvaient nier que, si ces peintures dérogeaient au grand style, elles étaient d’une élégance, d’une légèreté ravissantes. Aussi, quand le président de Thorigny ouvrit sa maison au public, la foule, qui suit son plaisir, et s’arrête à ce qui la charme, ne fit que glisser dans la Galerie d’Hercule, quoique le luxe des dorures rehaussât l’éclat des

  1. Lesueur a peint dix-neuf tableaux dans l’hôtel Lambert : sept pour décorer un salon dit le Salon de l’Amour, sept dans le Cabinet des Muses et d’Apollon, et cinq en camayeux dans l’Appartement des Bains au second étage. Il peignit aussi des naïades au bas de l’escalier.

    La marquise du Châtelet ayant acquis l’hôtel Lambert en 1739, le Cabinet des Muses devint pendant quatre années le cabinet de Voltaire.

    Enfin, comme ces charmantes figures, peintes la plupart sur plâtre, menaçaient de se dégrader, on exprima le désir de les voir transportées sur toiles et conservées avec plus de soin. M. D’Angevilliers acheta pour le compte du roi, en 1777, les peintures du Salon de l’Amour et du Cabinet des Muses. Elles sont aujourd’hui au Musée du Louvre.