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questions de religion, qui peuvent paraître à quelques-uns caduques et surannées, sont encore ardentes et vivaces en Orient : c’est la seule nationalité que puissent invoquer des peuples mélangés depuis des siècles, mais qui ne se sont jamais confondus. Dans les villes de l’Asie mineure, on remarque toujours parmi les catholiques plus d’instruction et d’intelligence ; l’éducation est plus européenne, il n’est pas rare de voir des jeunes gens parler l’italien et le français. Chez les Grecs et les Arméniens schismatiques, l’éducation se borne à l’étude de leur langue maternelle, l’arménien littéral ou le grec ; le turc, pour les uns et les autres, est la langue usuelle. C’est donc sur l’élément catholique que la France devrait s’appuyer en suivant l’exemple des autres états, qui, par la protection qu’ils accordent sous différens prétextes aux rayas, ont su acquérir une prépondérance qui pourra leur être utile un jour.

L’état de crise dans lequel languit l’empire ottoman appelle une solution prompte et pacifique. Ce sont les grands de l’état qui ont besoin d’être éclairés. Le sultan Mahmoud savait que là se trouvaient les écueils qu’il avait à craindre. Quand on a suivi la marche de cette politique profondément astucieuse, mais habile et patiente, on est bien convaincu que l’esprit de réforme ne s’étendait pas seulement chez le sultan à quelques changemens dans les usages. Il avait préludé en attaquant la base d’un ordre de choses qui s’opposait à toute amélioration ; mais par une fatalité inconcevable, au moment où il achevait de soumettre en Asie les seules oppositions qui pussent nuire à ses projets (car les beys du Kurdistan ne demandaient qu’à rester dans leurs montagnes), il vit s’élever devant lui le plus formidable adversaire que sa fortune pût rencontrer sur sa route. Les peuples de l’Asie mineure, qui depuis plusieurs années voyaient sans rien y comprendre la guerre civile entre les autorités, accueillirent Méhémet-Ali comme un nouveau problème qu’ils ne se chargèrent pas de résoudre. Après la bataille de Konieh, les troupes de Méhémet-Ali entrèrent à Angora et à Kutayah sans coup férir ; mais Ibrahim manqua à sa fortune le jour où il fit halte dans cette ville : il fallait qu’il vînt occuper les hauteurs de Brousse, qu’il fortifiât le passage d’Ac-Seraï. À cette époque, le secret de sa faiblesse n’était pas connu ; les Russes n’auraient pas osé l’attaquer ; les flottes réunies de France et d’Angleterre se tenaient prêtes aux Dardanelles, et le premier mouvement des Russes aurait été le signal d’une collision que tous les gouvernemens étaient d’accord pour éviter. Un pas de plus, et la question était résolue en 1833. La Turquie et l’Égypte ne seraient pas