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VOYAGE DANS L’ABYSSINIE MÉRIDIONALE.

l’union des deux mers, complèteront une révolution que nous avons vu commencer et que consacreront les siècles. On peut déjà deviner quelle activité merveilleuse règnera dans ces parages quand ils seront témoins de tout le mouvement de l’Europe vers l’Inde, de l’Inde vers l’Europe. Les prévisions les plus poétiques seraient ici au dessous de la réalité.

Avec quelle intelligence l’Angleterre a pressenti cet avenir, et comme elle cherche à le faire incliner dans le sens de son intérêt ! À peine pouvait-on entrevoir la possibilité d’une communication régulière par l’Égypte et la Syrie, que des agens anglais étaient sur les lieux, les uns au nom et sous les ordres de leur gouvernement, les autres obéissant à des inspirations particulières et à cet instinct d’entreprises qui n’abandonne jamais le peuple le plus remuant du globe. Dès 1828, le colonel Chesney remontait l’Euphrate avec un bateau à vapeur, en éclairait la navigation, puis reconnaissait le cours de l’Oronte et son embouchure dans les mers de Syrie. Le plan du pays, avec ses reliefs, ses accidens, ses moindres détails, était dressé par des ingénieurs qui y ajoutaient le tracé des lignes navigables et des lignes de fer. En même temps de grands travaux d’hydrographie se poursuivaient dans la mer Rouge et donnaient naissance à une carte, chef-d’œuvre de méthode et de patience, dont l’amirauté a voulu vainement se réserver l’usage exclusif. Ainsi, des deux côtés, l’Angleterre cherchait à assurer ses positions. Depuis ce premier éveil, chaque année a été marquée d’un empiètement nouveau. Vers l’Euphrate deux villes importantes, deux riches entrepôts, Mascate et Bassora, n’ont pu résister à son influence et repousser son patronage. Vers la mer Rouge, elle a pris possession d’Aden, qui en est la clé, et qu’un chef arabe lui a cédé, sans coup férir, à prix d’argent. Le pavillon anglais a bientôt flotté sur tous les comptoirs du bassin arabique ; et, si récemment le chérif de Moka a eu le courage de protester contre cet emblème d’oppression prochaine, il est à croire qu’il expiera cruellement ce moment de révolte et l’expulsion d’un consul que Calcutta et Londres lui imposaient.

Il ne faut pas chercher ailleurs le mobile qui a fait agir l’Angleterre dans le traité du 15 juillet. L’autorité que la France et les idées françaises s’étaient ménagée en Égypte pesait au cabinet de Londres et inquiétait sa politique. Si l’occupation armée de l’isthme de Suez n’était pas encore possible, il importait du moins à nos rivaux que son gardien fût un homme dévoué, un de ces souverains médiatisés et nominaux comme ceux qui règnent dans les Indes. Méhémet-Ali se