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REVUE. — CHRONIQUE.

Cette tendance archéologique que suit l’architecture moderne, promet à nos neveux, non-seulement la conservation de quantité de nobles monumens, mais encore elle donne aux études une base excellente. Il est permis d’espérer que les travaux d’érudition de nos artistes ne seront pas perdus pour l’avenir. En effet, l’étude assidue et impartiale de tous les systèmes et de tous les styles conduit nécessairement à envisager l’art d’un point de vue élevé, à le considérer dans son ensemble, et à reconnaître que des règles immuables ont produit les chefs-d’œuvre de tous les temps et de tous les pays. Enfin, il faudrait se féliciter de l’introduction de l’archéologie dans l’étude de l’architecture, quand même elle n’aurait d’autre effet que de détruire ce qu’il y a d’absolu dans l’enseignement, et de nous débarrasser de ces monumens dépourvus de caractère, qui reproduisent toujours des types convenus et faux, dont nous avons sous les yeux tant de tristes exemples.

Parmi les nombreuses études sur l’antiquité que l’on doit à la jeune école française, il en est peu qui méritent plus d’intérêt que les Édifices de Rome moderne, dessinés, expliqués et publiés par M. Letarouilly. L’admirable exécution des dessins, l’exactitude scrupuleuse des mesures, les soins extraordinaires apportés à toutes les parties de ce vaste ouvrage, le feront rechercher également par les gens du monde et par les artistes. C’est un travail bon à consulter, meilleur à étudier. Une anecdote bien connue de quiconque a vécu à Rome dans le monde des artistes, donnera une idée de la recherche consciencieuse que M. Letarouilly a mise dans sa publication. Après cinq années passées à Rome, mesurant tous les jours, dessinant, relevant les moindres détails, il revint à Paris avec d’immenses portefeuilles. Déjà il se disposait à commencer l’impression, lorsqu’il s’aperçut que, par suite d’une de ces erreurs impossibles à éviter, un de ses plans présentait avec la coupe correspondante une fort légère différence. Dans des cas semblables, il est d’usage de rectifier l’erreur au juger ; M. Letarouilly prit un parti plus sûr : il retourna à Rome, et reconnut qu’il s’était trompé de deux millimètres.

Un pareil scrupule, bien rare à l’époque où nous vivons, en même temps qu’il donne une idée honorable du caractère de l’auteur des Édifices de Rome moderne, pourra paraître, aux yeux de quelques personnes, une exagération de conscience approchant du ridicule. Ce n’est cependant que par cette précision rigoureuse dans les mesures que l’on parvient à connaître les caractères de l’architecture au point de pouvoir, en les comparant, tirer des conclusions positives et en recomposer un système. Cette exactitude est nouvelle dans l’art, et pendant bien long-temps on a raisonné sur l’architecture antique sans la connaître en aucune façon. C’est pour s’être contenté d’à peu près, qu’on professait encore il y a quelques années, et que peut-être on professe encore dans plusieurs ateliers une architecture imaginaire qu’on appelait classique, et à laquelle les monumens de l’antiquité donnaient un démenti éclatant. Certes, les maîtres qui enseignaient gravement que la colonne dorique doit avoir invariablement huit diamètres, n’avaient mesuré ni le Parthénon ni les temples de Pœstum. Ils calomniaient l’art grec en lui attribuant un absolutisme qu’il a toujours repoussé. Au contraire, les artistes qui se sont avisés un beau jour de décrire exactement ces admirables édifices, ont mis en lumière cette vérité que les Grecs n’ont posé aucun principe contraire à la liberté, et qu’ils ont su toujours subordonner leurs proportions aux effets qu’ils voulaient produire et au caractère qu’ils avaient à exprimer.