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la salle, toute seule. — Au nom de l’enfer ! — dit-elle tout bas. Le fuseau tourne en flamboyant.

« Ensuite elle va s’asseoir au métier et lance la navette d’une main tremblante. Le métier gronde et siffle, et va par bonds fougueux comme si des esprits poussaient à l’œuvre.

« Cependant l’armée chevauche à la bataille ; ce jour-là, monseigneur porte un costume étrange, sillonné de signes et d’hiéroglyphes effrayans, une ample et flottante robe blanche.

« L’ennemi l’évite comme un spectre ; quel homme l’oserait braver, l’oserait attaquer de front, lui sur qui le plus rude glaive se brise, sur qui les traits glissent émoussés ?

« Un jeune homme pourtant l’aborde hardiment : — Arrête, meurtrier, arrête ! tu ne m’épouvantes point. Ne compte plus pour te sauver sur ton art infernal ; ton œuvre est morte, et ton enchantement, fumée.

« Ils fondent l’un sur l’autre et vaillamment ; la tunique du prince dégoutte de sang. Ils se pourfendent à l’envi dans la poussière, et chacun maudit la main de l’autre.

« La fille descend dans la campagne : — Où donc gît le héros ducal ? Elle les trouve blessés à mort tous deux, et pousse un cri de désespoir.

« — Es-tu bien mon enfant, indigne jeune fille ? Comment as-tu filé ce faux vêtement ? n’as-tu point invoqué l’enfer ? ta main n’était-elle pas virginale ?

« — J’ai bien invoqué l’enfer, mais ma main n’était pas virginale ; celui qui t’a frappé ne m’est pas étranger, et j’ai filé ainsi, malheureuse, ton linceul. »

La pièce qui suit, sans sortir de cette catégorie dont nous parlons rappelle plus particulièrement la veine lyrique de Uhland.

« Un chevalier, par la plaine, allait un beau matin ; il pensait, en son inquiétude, à la plus belle des femmes.

« Mon cher petit anneau d’or, dis-moi franchement, ô gage de ma bien-aimée, ce qu’il en est de sa foi.

« Et, comme il va pour le consulter, l’anneau lui échappe du doigt ; il saute le petit anneau, et roule parmi l’herbe de la prairie.

« Lui veut d’une main rapide le saisir dans le champ, mais les fleurs d’or l’éblouissent, les fleurs et les gazons humides de rosée.

« Un faucon avise en ce moment la bague du haut d’un tilleul où il perche ; il plonge avec grand bruit du sommet de l’arbre et la saisit dans l’herbe.

« Puis, d’une aile puissante, il s’élève dans l’air ; là ses frères veulent lui ravir son butin d’or.

« Mais nul d’entre eux ne réussit à le garder ; le petit anneau d’or tombe des hauteurs de l’air ; le chevalier le voit tomber dans un lac profond.

« Les poissons montent lentement pour happer le petit bijou ; mais le petit anneau tombe au fond, jusqu’à ce qu’il disparaisse aux regards.

« Ô petit anneau ! dans la prairie te saisissent le gazon et les fleurs ; ô petit anneau ! dans les airs te promènent les oiseaux.