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VOYAGE DANS L’ABYSSINIE MÉRIDIONALE.

rable et une suite d’excellens mouillages qui suppléeraient à l’insuffisance des rades de l’île Bourbon. Barabara et Zeïla, entrepôts des pays d’Harrar et de Choa, pourraient à leur tour ressortir de ce mouvement d’affaires et entrer dans cette combinaison : Massouah, comme port du Tigré et du Samen, complèterait le nombre des échelles intermédiaires. Ainsi, d’une part tous les produits coloniaux, de l’autre les objets précieux que fournit l’intérieur de l’Afrique, défraieraient avantageusement cette ligne qui aboutirait, par l’isthme de Suez, à la Méditerranée et à nos ports français.

Il est temps d’y songer : quand le monde entier s’agite, notre pays ne peut pas demeurer seul immobile. Au milieu des grandes ambitions, des prétentions insatiables qui se produisent, il est impossible de mettre sa gloire à regarder les autres agir. Les puissances de l’Europe rêvent toutes à un agrandissement de territoire ou un développement de commerce ; plusieurs aspirent à ces deux conquêtes. Loin de cacher leurs projets, elles les poursuivent à visage découvert, sans tenir compte des existences qu’elles doivent briser sur leur chemin. L’Angleterre assure partout ses positions ; c’est à la France de songer aux siennes. La politique l’exige, les intérêts le commandent. Un cordon de surveillance britannique enlace aujourd’hui l’Égypte et la Syrie ; on bloque ces deux provinces à la fois par la mer Rouge et par la Méditerranée. Si notre gouvernement pouvait rompre sur quelque point, par des alliances politiques ou commerciales, les mailles de ce réseau, il agirait dans la limite de son droit et dans une juste prévision de l’avenir. Comme représailles de la brusque occupation d’Aden, on pourrait acheter à vil prix, sur la côte abyssinienne, un îlot facile à fortifier, et qui deviendrait le siége d’une station navale. À l’ombre de cette protection, le commerce de nos ports irait tenter avec plus de confiance la fortune de ces marchés lointains, et notre pavillon deviendrait familier à ces parages. Contenir l’Angleterre dans l’Orient, la suivre dans les mers dont elle rêve la suprématie, voilà quel doit être aujourd’hui notre principal effort ; et si l’empire de l’islamisme n’est plus qu’une dépouille, prouvons par notre attitude qu’on n’en disposera pas sans compter avec la France.


Louis Reybaud.