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qui était arrivé trois ans auparavant aux compagnons de son frère, avaient pris la fuite à propos, se dispersant de différens côtés, et faisant diligence pour sortir du royaume[1].

Des ordres expédiés aux comtes des frontières leur enjoignirent de barrer le passage aux fugitifs ; mais un seul, le trésorier de Chlodowig fut arrêté au moment où il arrivait sur le territoire de Bourges, pays du royaume de Gonthramn… Comme on le ramenait par la ville de Tours, l’évêque Grégoire, le narrateur de ces tristes scènes, le vit passer les mains liées, et apprit de ses gardiens qu’ils le menaient à la reine et à quel sort il était destiné[2]. Grégoire, ému de compassion pour ce malheureux, chargea ceux qui le conduisaient d’une lettre où il demandait sa vie. À cette prière d’un homme qu’elle révérait en dépit d’elle-même, Frédégonde fut saisie d’un salutaire étonnement, et, comme si une voix mystérieuse lui eût dit « C’est assez, » elle s’arrêta. Sa fièvre de cruauté finit ; elle eut la clémence du lion, le dédain du meurtre inutile, et non-seulement elle fit grace au prisonnier des tortures et du supplice, mais encore elle le laissa libre de s’en aller où il voudrait[3].

Cinq ans après, Hilperik était mort assassiné, laissant pour héritier de son royaume un fils âgé de quatre mois, et Frédégonde, incapable de faire tête au soulèvement de ses ennemis, avait mis cet enfant et elle-même sous la protection du roi Gonthramn, venu auprès d’elle à Paris. Dans ce voyage, qui devait lui donner la haute main sur les affaires de la Neustrie, Gonthramn était agité de sentimens très divers : la joie de pouvoir prendre sa revanche des torts que lui avait faits Hilperik, et la tristesse qu’en bon frère il ressentait de sa mort ; la défiance que lui causait l’amitié si trompeuse de Frédégonde, et l’intérêt qu’il avait à lui rendre service pour s’assurer la tutelle de son fils et la régence du royaume[4]. D’un côté, l’ambition le retenait à Paris ; de l’autre, une vague terreur le pressait d’abréger le plus

  1. Servientes quoque illius per diversa dispersi sunt. (Greg. Turon., Hist. Franc., lib. V, cap. XL, apud Script. rer. gallic. et francic., t. II, p. 257) — Voyez dans la troisième Lettre, la mort des compagnons de Merowig (Revue du 15 juillet 1834).
  2. Thesaurarius Chlodovechi a Cuppane stabuli comite de Biturico retractus, vinctus reginæ transmissus est diversis cruciatibus exponendus. (Ibid.)
  3. Sed eum regina et suppliciis et vinculis jussit absolvi ; liberumque, nobis obtinentibus, abire permisit. (Ibid.)
  4. Comperto autem Guntchramnus rex de fratris excessu amarissime flevit ; moderato quoque planctu, commoto exercitu Parisius dirigit. (Ibid., lib. VII, cap. V, p. 295)