Page:Revue des Deux Mondes - 1841 - tome 28.djvu/237

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
233
LE DOCTEUR HERBEAU.

Touché jusqu’aux larmes, Aristide se releva et baisa la main de l’altesse.

Ce fut quelques mois après cette mésaventure que le docteur Herbeau fut nommé chevalier de la Légion-d’Honneur. Cette histoire est bien connue dans le pays, et l’on y dit encore que le docteur Herbeau serait mort sans la croix, s’il n’eût jamais monté un autre cheval que Colette. Je laisse à penser si c’était là pour M. Riquemont un magnifique sujet de quolibets. En vérité, le château de Riquemont était un cirque où deux fois par semaine le malheureux Herbeau était livré aux bêtes et endurait mille martyres.

Louise était le seul lien qui existât entre ces deux hommes. Le docteur avait apporté une espèce de distraction aux ennuis qui la dévoraient. Louise était dans cette situation de cœur et d’esprit qui ne connaît point de romans ennuyeux ni de visiteurs incommodes. Elle commença par trouver le docteur ridicule et par rire tout bas de sa perruque et de son ventre ; elle finit par apprécier sa bonté et par l’aimer d’une amitié véritable. Les jours qui amenaient le docteur au château étaient les beaux jours de Louise, tant cette existence était délaissée. Du moins elle pouvait échanger avec lui quelques fragmens d’idées, quelques lambeaux de sentimens. D’un autre côté, la jeunesse de Mme Riquemont, sa grace, sa beauté, sa tristesse, sa santé frêle et débile, avaient vivement intéressé le chevaleresque Aristide, et il s’était pris pour elle d’une noble et sincère affection. Malheureusement, le docteur ne comprenait pas que l’amitié la plus pure et la plus désintéressée pût emprunter auprès d’une femme, jeune et belle, un autre langage que celui de la vieille galanterie dont il était un des derniers représentans. Louise s’en amusait innocemment ; mais M. Riquemont en prenait quelque ombrage, et son humeur se manifestait par un redoublement d’épigrammes, qui tombaient sur Aristide comme en été la grêle sur les toits.

Or, plus M. Riquemont se montrait dur et brutal, plus Louise, par un sentiment de bonté délicate, se montrait affectueuse et tendre.

Elle avait des secrets charmans pour amortir les coups que son mari portait à l’amour-propre d’Aristide. C’étaient pour son cher docteur mille cajoleries adorables, telles qu’une femme peut en avoir pour un vieillard ou pour un enfant. Elle tournait autour de lui comme une belle chatte blanche, lui donnant ses petites mains à baiser, et ne l’appelant jamais que son bien-aimé docteur. Elle se montrait plus réservée en présence de M. Riquemont ; mais lorsqu’il s’éloignait pour aller visiter ses poulains, laissant Aristide tout meur-