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Page:Revue des Deux Mondes - 1841 - tome 28.djvu/269

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LE DOCTEUR HERBEAU.

— Allons, papa, s’écriait-il, l’exercice est recommandé par Hippocrate.

Il arriva que le docteur, ayant empêtré ses jambes dans les ronces d’un champ, trébucha et s’étendit gentiment sur le chaume. M. Riquemont courut à lui, et le relevant :

— Chevalier de la Légion-d’Honneur, je vous crée officier, lui dit-il.

Jamais le rustre n’avait déployé tant de brutale impertinence ; jamais il ne s’était acharné si opiniâtrement à sa victime. M. Savenay, qui souffrait visiblement de la position d’Aristide, cherchait par mille moyens à détourner l’humeur de cet homme terrible ; mais il y réussissait rarement. Croirait-on qu’une fois dans la prairie où pâturaient ses élèves, cet infernal Riquemont fut pris de la fantaisie de faire monter le docteur Herbeau sur un étalon, et de le voir ainsi galoper à cru, sans bride et sans étriers ? Je laisse à penser si le docteur Herbeau se récria ! Mais l’impitoyable châtelain, le saisissant à bras le corps, ne parlait de rien moins que de l’attacher, comme Mazeppa, sur l’une des plus fringantes bêtes, et je ne sais trop ce qu’il en serait advenu sans l’intervention de M. Savenay, qui parvint, non sans peine, à délivrer son infortuné confrère. Certes, Aristide aurait fait là une rude promenade, s’il n’eût porté dans son cœur une source d’eau vive dans laquelle il étanchait le sang de ses blessures. Louise était cette source mystérieuse qu’il entendait murmurer sans cesse, et qui entretenait en lui la fraîcheur embaumée d’un printemps éternel. Dans sa candeur, ce vieil enfant allait même jusqu’à se féliciter des mauvais traitemens que M. Riquemont lui faisait subir. Il se disait que c’était justice qu’il payât son bonheur, et que, pour le mériter, il pouvait bien souffrir un peu. Et puis ne se sentait-il pas coupable lui-même à l’endroit de M. Riquemont ? Sa conscience d’honnête homme n’était-elle pas quelque peu troublée ? Ah ! sans doute, car il savait ses perfidies ; il n’était pas de ces séducteurs passés maîtres qui prennent la femme de leur hôte sans plus de scrupule qu’ils n’en auraient de cueillir une pomme dans le verger de leur voisin. Il est de nobles ames chez lesquelles la passion ne saurait étouffer le sentiment du devoir. Telle était l’ame du docteur Herbeau. Que de nuits il passa à pleurer sur ses félicités criminelles, à s’accuser tout bas vis à vis de M. Riquemont et d’Adélaïde ! Que de fois il entendit les serpens du remords lui siffler aux oreilles les noms de parjure et de traître ! Quand par hasard il trouvait au logis Adélaïde affectueuse et soumise, au château M. Riquemont amical et poli, il se sentait mourir de honte. Parfois l’exaltation de sa con-