Page:Revue des Deux Mondes - 1841 - tome 28.djvu/272

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
268
REVUE DES DEUX MONDES.

ques allures et pour son air doux et honnête, au cheval de M. Savenay. Aristide ne se sentait pas d’aise ; il fit observer à son tour que la queue de Colette frétillait en signe de joie, comme si l’intelligente bête eût compris les complimens de Louise. M. Riquemont ajouta qu’il ne lui manquait que la parole pour s’exprimer aussi galamment que son maître. On se quitta les meilleurs amis du monde. Le campagnard lui-même s’était singulièrement radouci ; il accompagna le docteur jusqu’au bout de l’allée, le complimenta sur la manière brillante dont il avait soutenu sa réputation en ce jour, parla de l’avenir de Célestin avec intérêt, et lui laissa par ses façons franches et naturelles une entière sécurité. Mais, lorsqu’il l’eut vu disparaître au détour d’une haie, pourquoi donc se frappa-t-il le front et s’en revint-il le long des charmilles d’un air pensif et préoccupé ?

Le retour d’Aristide à Saint-Léonard fut une véritable ovation. Tous les amis du docteur étaient rassemblés chez Adélaïde : la crainte et l’espoir agitaient tous les cœurs ; celui d’Adélaïde était dévoré d’angoisses. On allait, on venait, de la maison au kiosque, du kiosque à la maison. Tous les regards plongeaient dans la vallée, tous les yeux interrogeaient le sentier qui devait ramener Aristide. On se parlait, on s’appelait, on s’interrogeait : — sœur Anne, ne vois-tu rien venir ? — Soudain un cri, parti du kiosque, vola jusqu’à l’épouse d’Herbeau. Un cavalier s’avançait au galop dans la plaine.

— Ce n’est pas lui ! répondit l’épouse en soupirant.

En effet, c’était Savenay. M. Savenay ! le nouveau docteur ! s’écriait-on de toutes parts. Ce fut un horrible remue-ménage ; tous les amis d’Aristide, Adélaïde elle-même, coururent sur la place des Récollets, pour voir passer le nouveau docteur. Il passa bientôt, au pas relevé de son cheval, sans laisser tomber un regard sur les curieux qui le contemplaient. On ne put s’empêcher d’admirer sa bonne mine, l’élégance de son maintien et la beauté de sa monture ; Adélaïde sentit son cœur qui s’éteignait dans sa poitrine.

Enfin, long-temps après, on aperçut sur le flanc du coteau un vieux cheval gris, surmonté d’une tête à perruque. Cette fois c’était bien lui ! on se répandit de nouveau sur la place, et, au bout d’une petite heure, on vit apparaître successivement sur le plateau de la colline un chapeau, des ailes de pigeon, un visage épanoui, le tout glorieusement porté par Colette. En moins d’un instant, le docteur fut entouré de la foule de ses partisans.

— Eh bien ! Aristide ? demanda Adélaïde avec anxiété.

— Adélaïde, répondit le docteur, votre époux s’est couvert de