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penserait le bon Aristide en voyant cet étranger, cet ami de la veille, son rival enfin, installé au château, accueilli, fêté, comme il ne l’avait jamais été, lui, vieil ami de la maison ? Ah ! son cœur saignerait sous cette cruelle injure. Il accuserait Louise de dureté et d’ingratitude ; il se dirait qu’il n’avait été qu’un pis-aller pour elle, et qu’un jour avait suffi pour effacer deux années de constante sollicitude. Voila ce que penserait, ce que dirait le vieux docteur, et le vieux docteur aurait raison peut-être. À ces réflexions, la jeune femme sentait son trouble redoubler et se changer presque en remords. Elle était souffrante, nerveuse, agacée. Le moindre bruit du dehors, l’aboiement des chiens, un éclat de voix, une rumeur lointaine, la faisaient tressaillir et suspendaient le cours du sang dans ses artères. Puis elle finissait par se demander pourquoi cette folle agitation et ces vaines angoisses, puisqu’elle était sûre que M. Savenay ne viendrait pas ; elle en avait le pressentiment, et ses pressentimens ne la trompaient jamais. Était-il probable en effet que ce jeune homme accepterait les offres de M. Riquemont ? qu’il répondrait autrement que par un refus discret à ces avances indiscrètes ? qu’il viendrait s’établir familièrement chez des connaissances d’un jour ? En y songeant bien, Louise ne concevait même pas qu’elle eût pris au sérieux les ordres de son mari, et fait tout préparer pour recevoir cet hôte impossible. Cependant elle allait à chaque instant de sa bergère à la fenêtre, du salon à la terrasse, et, chose étrange, plus elle trouvait de raisons pour se rassurer, plus elle s’agitait comme une ame en peine.

Épuisée par tant d’émotions, elle était assise depuis une heure, prêtant l’oreille aux bruits qui venaient de la ville, lorsqu’elle entendit des pas de galop qui semblaient se diriger vers le château. Tout son sang afflua vers son cœur, elle crut qu’elle allait mourir. Les pas s’approchaient en effet ; elle resta à la même place, froide, immobile, inanimée. Au bout de quelques minutes, la porte du salon s’ouvrit et M. Riquemont entra : il était seul. À peine entré, il se jeta dans un large fauteuil, et, laissant ses jambes glisser sur le parquet, jusqu’à ce qu’il se trouvât assis sur le dos :

— Notre ami a refusé net, dit-il ; j’ai eu beau prier, supplier, insister, il a tenu bon. J’ai joint tes sollicitations aux miennes ; inflexible, inébranlable, un roc. Papa Herbeau ne se serait pas tant fait prier, lui ; mais ce diable de Savenay, impossible. Charmant jeune homme d’ailleurs ! J’ai déjeuné chez lui : nous avons parlé de toi, Louison. Il affirme que ton état n’offre aucun danger ; c’était déjà mon opinion. Tu ne m’as jamais inspiré la moindre inquiétude ; les femmes à ton