Page:Revue des Deux Mondes - 1841 - tome 28.djvu/302

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
298
REVUE DES DEUX MONDES.

frémit, la cime des arbres se courba, l’orient et l’occident déchaînèrent à la fois leurs vents et leurs tempêtes ; les deux nuées s’ébranlèrent, et toutes deux, les flancs chargés de foudre, s’avancèrent l’une contre l’autre, comme deux corps d’armée près d’en venir aux mains. En cet instant, la nature entière fut saisie d’un inexprimable sentiment de terreur. Le parc se prit à mugir comme la colère de l’océan ; les chiens hurlèrent, les bestiaux dans les étables poussèrent des mugissemens de détresse. Épouvantée, Louise fit appeler M. Riquemont.

M. Riquemont se campa devant la fenêtre, et, les bras croisés sur sa poitrine, observa l’état du ciel. Les deux nuages avançaient toujours, échangeant de rapides éclairs qui serpentaient en lignes de feu sur leurs flancs noirs et allaient s’éteindre dans le lac d’azur qui les séparait encore.

— Louison, dit enfin M. Riquemont, tu vas voir dans deux heures tomber des grêlons gros comme des œufs de pigeon, qui broieront nos blés et couperont nos fruits aussi proprement que pourraient le faire cent mille canons chargés à mitraille. Nous en serons quittes, moi pour vendre mes grains plus cher, toi pour ne pas manger d’abricots. — Voilà un bon temps, ajouta-t-il, pour les malades du docteur Herbeau !

Comme il disait, la voûte céleste craqua avec un bruit terrible, et la foudre découronna un chêne séculaire qui s’élevait à l’angle de la terrasse. Louise poussa un cri et cacha sa tête entre ses mains.

— Ne me quittez pas, dit-elle.

— Et mes poulains ! s’écria-t-il ; tu es à l’abri, toi, tandis que ces agneaux sont aux champs !

— Ah ! de grace, ne me quittez pas ! répéta Louise avec effroi, toute pâle et toute tremblante.

M. Riquemont la regarda d’un air de pitié narquoise.

— Je croyais, dit-il en ouvrant la porte, avoir épousé un homme ; je me trompais, Louison ; décidément, tu n’es qu’une femme.

Il sortit en haussant les épaules, et Louise demeura seule. Hélas ! oui, ce n’était qu’une femme, et encore des plus faibles et des plus timides. Mais ce sont les vraies, celles-là, les seules qu’il soit doux d’aimer. C’est à ces craintives ames qu’il est doux d’inspirer la passion qui brave tout, le dévouement que rien n’effraie, l’héroïsme que rien n’arrête. L’ardeur des lionnes n’a rien qui nous surprenne ; mais donner du courage aux gazelles et les mener à la bataille, c’est le triomphe de l’amour.