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les flottes anglaises, en position d’affronter sans crainte un désarmement. C’est l’absence de cet élément nécessaire qui nous oblige à suivre une autre ligne de conduite.

Il n’est pas sans intérêt de savoir au juste où nous en sommes pour notre marine marchande, cette auxiliaire indispensable de la marine militaire. Cette recherche n’a rien que de triste, mais il est des illusions qu’il faut détruire. Nous faisons fausse route, et la statistique, si nous voulons l’écouter, nous donnera de sévères leçons. Pendant qu’autour de nous plusieurs marines marchandes se développent à vue d’œil et s’emparent du mouvement commercial, la nôtre est non-seulement stationnaire, mais encore en voie de décroissance. En 1663, sous Charles II, la navigation nationale de la Grande-Bretagne ne roulait que sur un chiffre de 95,266 tonneaux, qui s’éleva successivement à 243,693 sous la reine Anne, à 609,798 dans les premières années du règne de George III. En 1787, le total avait atteint 1,101,711 tonneaux ; aujourd’hui il flotte entre 2,900,000 et 3,000,000 de tonneaux, c’est-à-dire que, dans le cours du dernier demi-siècle, la navigation anglaise a triplé d’importance. La fortune des États-Unis a été plus rapide encore, et chaque jour elle se rapproche de celle de l’Angleterre. De 1789 jusqu’à nos jours, le tonnage commercial de l’Union américaine a décuplé. Présentant à son début un chiffre de 200,000 tonneaux, elle a déjà dépassé celui de 2 millions de tonneaux, et ses progrès sont si rapides, qu’il devient presque impossible de les suivre. Par deux voies différentes, l’Angleterre et l’Union sont arrivées au même résultat. L’une, par l’acte de navigation de Cromwell, s’est appuyée sur le monopole ; l’autre a invoqué la liberté. Pour fonder son monopole, l’Angleterre s’est vue obligée de conquérir par les armes les marchés du globe ; l’Union américaine, moins exclusive, les a conquis par son activité pacifique. Il est évident que, dans cette lutte des deux principes, ce sont les États-Unis qui ont eu le dessus. La liberté s’est montrée plus féconde que le monopole, et l’Angleterre a dû tempérer l’acte de Cromwell par des traités de réciprocité.

La France n’a su prendre ni l’une ni l’autre voie, et c’est ce qui constitue sa faiblesse. Elle ne veut pas que l’étranger vienne la chercher, et elle ne fait rien pour l’aller trouver. Sa navigation marchande repose sur un privilége étroit qui n’a ni la grandeur de l’exclusion anglaise, ni l’attrait de la tolérance américaine. Ce sont des entraves sans compensation, des chaînes sans profit. Ses ports de commerce ne sont ni bien ouverts ni bien fermés ; ils n’attirent ni ne repous-