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LE PARATONNERRE.

but par de si ingénieux détours, que c’est beaucoup de comprendre le sens secret de leurs paroles, et qu’il faut renoncer à les reproduire.

— Vous avez donc compris…

— J’ai compris que, si vous parvenez à métamorphoser le féroce capitaine en Cupidon, au moyen d’un bandeau artistement appliqué sur ses yeux, vous aurez fait plus de la moitié du chemin ; mais pour cela, mon cher, il faut tuer beaucoup de perdreaux.

— Je tuerai des chamois, des ours, s’il le faut, m’écriai-je dans un transport soudain.

— Bravo ! cultivez le mari, c’est l’essentiel. Surtout n’allez pas demain lui fausser compagnie, comme vous en manifestiez l’intention tout à l’heure.

— Soyez tranquille, vous nous verrez au retour de la chasse ; si déjà nous ne sommes pas amis intimes, traitez-moi de conscrit.

Animé d’un espoir auquel les encouragemens de Maléchard venaient de donner un aliment nouveau, en ce moment, je ne doutais plus du succès ; j’étais tout impatience et tout feu.

Le lendemain à l’heure convenue, c’est-à-dire dès le point du jour, nous nous mîmes en campagne, M. Baretty et moi. La chasse est, dit-on, l’image de la guerre. L’ancien capitaine de voltigeurs se trouvait donc rapproché de son élément naturel. À le voir marcher résolument le fusil sur l’épaule, le sac en bandoulière, le pantalon dans les guêtres, le chef couvert d’une casquette semblable aux petits cônes tronqués des soldats de l’armée d’Afrique, on eût dit qu’il reprenait possession de son ancien métier. Des perdreaux à massacrer à défaut de Bédouins lui avaient fait oublier tout le reste, même sa jalousie. De qui d’ailleurs eût-il été jaloux ? ne me tenait-il pas à portée de son fusil, en laisse pour ainsi dire ? Près de lui, je cessais d’être dangereux, et par conséquent je ne l’inquiétais plus. Sous ce rapport, mon calcul avait réussi. Quelques jours encore d’une pareille manœuvre, et ses soupçons achèveraient de tomber d’eux-mêmes : ainsi me disais-je pour m’encourager à la patience.

Tout alla d’abord assez bien. Moins farouche que la veille, M. Baretty montrait de temps en temps une sorte de jovialité bourrue ; c’était là sa plus belle humeur, et je m’efforçais de l’entretenir par ma propre amabilité. Malheureusement les circonstances contrarièrent mes efforts. Les perdreaux sur qui nous avions compté firent défaut ; en revanche, un orage aussi violent qu’imprévu nous surprit au milieu des bois, à plus de deux lieues de la maison de M.  Ri-