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LE DOCTEUR HERBEAU.
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avait aperçue dans son miroir toutes les fois qu’il s’était fait la barbe, il convenait avec une impitoyable impartialité que la femme qui avait pu se résoudre à épouser un pareil visage, pouvait, sans beaucoup déroger, accueillir favorablement les hommages du vieux docteur. Puis il se rappelait ce qu’il avait entendu conter de l’influence des médecins sur leurs malades. À vrai dire, il ne savait trop que croire ni qu’imaginer. Ce qu’il y avait de plus clair en tout ceci, c’est que le docteur Herbeau lui était odieux pour toute espèce de raisons, qu’il le haïssait pour son esprit, pour ses manières, pour ses opinions, pour sa croix d’honneur, pour sa jument, pour sa culotte courte, pour ses bas de soie, pour sa perruque, pour ses boucles d’argent ; que tout en cet homme lui était souverainement antipathique, et qu’enfin il n’avait rien tant à cœur que de se débarrasser de cet hôte incommode. Mais là se reproduisait la difficulté dont nous parlions tout à l’heure. Vis-à-vis de lui-même, M. Riquemont avait bien un prétexte plausible et plus que suffisant ; malheureusement ce prétexte, l’orgueil lui commandait de le taire. Vis-à-vis du monde, vis-à-vis de Louise et du docteur Herbeau, il fallait un autre expédient qu’il put mettre en avant sans aventurer la dignité de son caractère. Congédier l’amant, c’était couronner la victime de myrtes et de roses ; une telle disgrace équivalait au triomphe le plus beau, tandis qu’en congédiant le médecin comme convaincu d’ignorance, M. Riquemont sauvait une défaite à son amour-propre, perdait son rival dans l’esprit public et le couvrait de honte pour la fin de ses jours. Mais à cela Louise avait répondu victorieusement : — Pourquoi vouloir remplacer le docteur Herbeau par le docteur Savenay, puisque le docteur Savenay, appelé en consultation, a rendu un éclatant hommage au talent du docteur Herbeau ? — Que répliquer ? le rustre en perdait la tête.

Le lendemain, il se leva de grand matin, et, après avoir visité ses écuries et ses étables, il fit seller un cheval et partit pour Saint-Léonard. Il mit pied à terre à la porte de M. Savenay. Le jeune homme le reçut avec une grave cordialité, sans contrainte et sans empressement.

— Je viens, lui dit M. Riquemont, déjeuner avec vous et parler d’affaires.

— Je suis tout à vous, monsieur, répondit le jeune docteur.

On déjeuna, car partout où se trouvait M. Riquemont, on dînait ou on déjeunait. Vers la fin du repas, le châtelain s’accouda sur la table, et après avoir vidé préalablement un grand verre de vin :