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Page:Revue des Deux Mondes - 1841 - tome 28.djvu/44

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REVUE DES DEUX MONDES.

— Je n’ai pas servi dans la cavalerie, interrompit d’un ton bref le capitaine ; le cheval me fatigue, et la marche me donne de l’appétit.

À de pareilles raisons que pouvais-je répondre ?

— Je n’aperçois pas notre guide, repris-je en voyant que mon aimable compagnon se mettait en marche.

— Un guide, à quoi bon ? répliqua-t-il sans s’arrêter ; le chemin de Lauterbrunen au Grindelwald est aussi fréquenté que la route du bois de Boulogne.

Cette assertion, sans doute, n’était pas de celles qu’il est impossible de réfuter ; mais à quoi m’eût servi de contredire un entêté à qui je devais tant d’égards ? Je renonçai au guide ainsi que j’avais déjà renoncé au cheval, et, passant les bras dans les bricoles de mon havresac, je me munis d’un bâton semblable à celui du capitaine. Nous partîmes enfin, silencieux l’un et l’autre. La rapidité des pentes qu’il nous fallait gravir n’était pas favorable à la conversation, et d’ailleurs nous fumions, lui par habitude, moi pour neutraliser l’humidité âcre du brouillard qui nous enveloppait. La Providence, qui veille, dit-on, sur les ivrognes, protége aussi les imprudens. Contre toute probabilité, nous ne nous égarâmes pas, et, après plusieurs heures de l’ascension la plus laborieuse, nous arrivâmes sains et saufs au Grindelwald. Jusque-là, quoique j’eusse parlé à plusieurs reprises de faire une halte, M. Baretty s’y était toujours refusé.

— Vous vous reposerez au glacier, m’avait-il répondu chaque fois avec un sourire dont l’expression sournoise ne me frappa que plus tard.

À l’auberge du Grindelwald, nous trouvâmes un déjeuner passable, mais non le repos sur lequel j’avais compté, et dont mon compagnon devait avoir besoin autant que moi. Ma dernière tasse de thé à peine avalée, et comme j’essayais de faire un lit de ma chaise en en renversant le dossier contre une des encoignures de la salle à manger, l’endiablé vétéran se leva de table et endossa son havresac.

— Au glacier ! s’écria-t-il d’une voix rauque près de laquelle l’aboiement d’un dogue m’eût paru plein de mélodie.

— Vous êtes donc de fer ? lui dis-je d’un ton piteux, sans faire mine de bouger ; laissez-moi dormir une heure.

— Vous dormirez au glacier, répliqua-t-il en accentuant étrangement ces paroles.

— Drôle de lit ! me dis-je en moi-même ; on voit que le brave homme a commencé sa carrière par la campagne de Russie.

J’avais prévu que ce petit voyage d’agrément serait pour moi un