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croisent, qui se heurtent, et, au milieu de tout cela, une lassitude chaque jour croissante et un épuisement presque général, voilà ce que l’on découvre, voilà ce dont il est impossible, quand on aime nos institutions, de n’être pas douloureusement affecté. Il est évident en effet que, sans des partis sérieusement constitués, le gouvernement représentatif ne saurait avoir ni dignité, ni puissance. Quand les partis croient en eux-mêmes et marchent d’accord, il y a une majorité réelle, indépendante, et qui ne flotte pas au gré de tous les évènemens ; il y a un ministère doué d’une vie active, de la vie qu’il puise chaque jour au sein de la majorité, capable par conséquent de gouverner, et que ne renverse pas le premier souffle royal ou populaire. Quand les partis au contraire n’ont plus ni principe commun qui les dirige, ni point d’honneur qui les tienne unis, alors les majorités appartiennent à tout le monde, et les ministères, sans force et sans point d’appui, végètent au lieu de vivre, et meurent comme ils sont nés, à l’improviste, au milieu de l’apathie et de l’indifférence publique. Si cette situation est bonne pour quelqu’un, ce n’est certes pas pour le pouvoir parlementaire, qui, à travers toutes ces vicissitudes, se rapetisse et s’éteint.

Par quel chemin en sommes-nous venus là, et comment faut-il expliquer cette décomposition générale des partis et cette triste décadence ? Quels sont en outre les moyens actuels, les moyens pratiques de guérir le mal, ou du moins d’en arrêter les progrès ? C’est ce que je me propose d’examiner. Certaines personnes, je le sais, trouvent commode de s’en prendre à notre société même et à nos institutions. Le mal vient, selon les unes, de ce que la France, secouant le joug des vieilles traditions, a osé faire une révolution et prétendu réaliser, dans son gouvernement comme dans ses lois civiles, les deux grandes idées des temps modernes, la liberté et l’égalité. Le mal vient, selon les autres, de ce que la France, s’arrêtant trop tôt dans cette voie, a préféré la monarchie constitutionnelle à la république, et la souveraineté de l’intelligence à celle du nombre. Ai-je besoin de dire que je regarde ces deux opinions comme également fausses ? Notre société et nos institutions ont certainement leurs imperfections et leurs vices. En somme, je crois qu’elles sont bonnes, et qu’elles peuvent, si on veut en tirer parti, donner d’excellens fruits. En politique, d’ailleurs, les faiseurs d’utopies rétrogrades ou progressives n’ont jamais été rares, et le monde, à aucune époque, n’a manqué de professeurs fort habiles à démontrer que l’humanité a dégénéré ou qu’elle commence à peine à sortir de ses langes, que l’âge d’or est dans le passé ou