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les bornes dans lesquelles ils se sont renfermés jusqu’ici. Il est dans la nature d’un parti extrême d’oser de plus en plus et d’avancer toujours, jusqu’à ce qu’un obstacle insurmontable l’arrête et le brise.

Déjà de graves symptômes peuvent faire craindre en Espagne de terribles commotions. À Barcelone, l’autorité du régent est méconnue. Malgré les protestations du chef politique et du général Zabala, la démolition de la citadelle a commencé, en présence de la junte de vigilance et de la municipalité. La garde nationale défilait devant les membres de la junte, chacun tenant une pierre de la citadelle à la main. Que fera Espartero en recevant ces nouvelles ? À Madrid, il a laissé fusiller ses frères d’armes ; il a voulu que la justice ait son cours, que la loi soit appliquée. Et à Barcelone ? Aura-t-on démoli impunément, au mépris du pouvoir central, la citadelle d’une ville maritime ? Aura-t-on bravé impunément et l’autorité civile et l’autorité militaire ? Certes nous ne lui demanderions pas, en eût-il le pouvoir, de faire répandre du sang. La peine capitale ne convient pas aux commotions politiques : elle est à la fois excessive et impuissante. Mais la répression peut être efficace sans être sanglante. L’ordre a besoin d’une justice certaine plus encore que d’une justice sévère. Ce n’est pas par la douceur des peines, c’est par l’impunité, qu’on sape les fondemens de la société, qui ne peut exister sans justice. Le moment est décisif pour la gloire et l’avenir d’Espartero. Si on en croit les apparences, il peut être appelé avant peu à se prononcer entre je ne sais quelle république et la royauté, entre la monarchie et l’anarchie ; il aura à nous apprendre s’il est en effet le chef de l’état ou l’instrument d’un parti, s’il est véritablement digne de garder le dépôt qu’il arrachait, à Valence, des mains d’une mère éplorée.

L’Espagne est aujourd’hui le seul pays où le parti républicain puisse tenter une explosion avec quelques chances de succès, non à la vérité d’un succès durable, mais de ce succès momentané qui fait illusion aux partis et exalte leurs espérances. La faiblesse du pouvoir central, les emportemens de l’esprit municipal, les habitudes irrégulières et violentes d’un pays que la guerre civile a si long-temps agité, l’appui que le parti des exaltados a trouvé en Angleterre et qui ne lui serait probablement retiré qu’à la dernière extrémité, que le jour où, jetant complètement le masque, il proclamerait la république, l’indifférence et la joie secrète des carlistes, qui se flatteraient d’être ramenés au pouvoir par les excès de l’anarchie, la mollesse et le décousu du parti modéré, que la dernière défaite a de plus en plus abattu : tout se réunit pour frayer la route aux ennemis de la monarchie, tout semble les inviter à d’audacieuses tentatives. Si ces conjectures sont fondées, c’est avec eux qu’Espartero aurait bientôt une lutte à soutenir, et nous aimons à croire qu’il ne faiblirait pas dans le combat, qu’il resterait fidèle au serment qu’il a prêté en prenant la régence. Sans être au nombre des admirateurs d’Espartero, nous reconnaissons qu’il peut dans ce moment rendre de grands services à son pays et le préserver peut-être des plus odieuses catastrophes. Il déploierait