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PHILOSOPHES MODERNES.

avec l’opposition. L’humble droit de pétition, consacré par la charte, rappelle à son esprit alarmé les pétitions menaçantes des sections au sein de la constituante ; il propose une loi contre l’exercice de ce droit constitutionnel, et il souffre que sa proposition soit accolée à celle de M. Sirieys, qui n’allait à rien moins qu’à assurer l’omnipotence de la majorité parlementaire, en consacrant par un article de règlement les principes mêmes qui amenèrent l’exclusion de Manuel. Cette tentative, tristement célèbre, rappelle un des plus beaux succès de M. Royer-Collard, le plus convaincu, le plus éloquent de ses adversaires. M. de Biran n’avait qu’un but, l’affermissement du pouvoir ; il ne concevait pas de stabilité sans la monarchie héréditaire, ni de monarchie héréditaire sans le principe de la légitimité. Lorsqu’il présidait, en 1820, le corps électoral de la Dordogne : « Électeurs, disait-il, dévoués par sentiment et par position à tout ce qui conserve, les députés de votre choix seront animés des mêmes sentimens et dévoués comme vous à la légitimité, sans laquelle tout fuit, tout chancelle, et va s’engouffrer dans l’abîme encore ouvert des révolutions. » D’où lui venait ce grand amour pour la légitimité ? Était-ce une feinte inspirée par l’ambition ? À Dieu ne plaise ! De l’enthousiasme pour les hochets ridicules de l’émigration, le trône de saint Louis et le panache blanc de Henri IV ? Non, M. de Biran était un esprit fort positif, fort peu susceptible d’enthousiasme. Quoiqu’il fût bien en cour, et qu’il eût épousé la femme d’un émigré qu’il aimait avec passion, M. de Biran, qui n’était pas noble et n’avait rien en lui de chevaleresque, était devenu royaliste, parce qu’il était d’abord et avant tout conservateur.

Il n’y a rien dans cette vie qui soit digne de l’histoire ; Maine de Biran n’appartient à la postérité que par ses travaux philosophiques, mais là il est un des maîtres de la pensée. Un seul problème sans doute a absorbé l’activité de son génie, mais ce problème est celui de la nature humaine, le premier de tous. C’est d’ailleurs le caractère propre, et c’est aussi l’honneur de Maine de Biran d’avoir choisi la tâche qui lui convenait le mieux, d’avoir aimé jusqu’à la passion ces études solitaires, de les avoir poursuivies sans relâche, pour elles-mêmes, sans aucun retour sur ses intérêts, sans aucune arrière-pensée de gloire ou de fortune. De nos jours, où la modestie philosophique est si peu pratiquée, où il n’est pas de chétif génie qui ne vise à l’étendue, c’est un grand exemple que la vie de ce profond penseur, consumée dans l’analyse d’un fait de conscience.

Qu’on y songe bien cependant. Ce seul fait, imperceptible et mé-