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Ainsi qu’on devait s’y attendre, la diète suisse s’est séparée sans rien conclure. Aucune proposition n’a pu réunir une majorité. L’affaire est, comme on dit, tombée au recès ; elle ne sera reprise qu’aux diètes ordinaires. Heureusement les craintes qu’on avait pu concevoir sur le maintien de la paix publique ne se sont pas réalisées. Tous les partis, également convaincus de leur impuissance, arrivaient à la diète découragés et tacitement résignés à un plus long ajournement ; chacun, désespérant de vaincre, ne songeait qu’aux moyens d’empêcher le triomphe de son adversaire. Ne rien faire a paru une sorte de victoire pour tout le monde. Non-seulement il n’y a pas eu de guerre civile, il n’y a pas même eu de violens débats au sein de la diète. À la vérité on ne voulait rien terminer ; mais on voulait s’en aller. « Nous verrons cela plus tard. » C’est ainsi que se résumait la ténacité helvétique.

Il est sans doute fort heureux que le sang n’ait pas coulé. Il n’est pas moins vrai que cette impuissance du pouvoir fédéral est une chose funeste pour la Suisse. S’obstiner dans ce déplorable système, c’est vouloir être et ne pas être en même temps ; c’est jouer à tout perdre et se rapetisser aux yeux de l’étranger. Les nations ne vivent pas seulement de force matérielle : la force morale leur est également nécessaire, et c’est par leur organisation, par leur sagesse politique, par la fermeté de leurs résolutions, qu’elles peuvent la conquérir. Il paraît qu’un mauvais génie préside de nos jours aux confédérations. On a dit que les rois s’en vont, on s’est trompé ; ce sont les confédérations qui paraissent s’en aller. Il n’y a que les principes qui ne peuvent ou ne savent pas se modifier et se transformer, qui disparaissent complètement. Les théocraties, les aristocraties fermées, la féodalité, lorsque leur temps est fait, tombent et disparaissent sans retour. Sint ut sunt aut non sint. La monarchie, au contraire, a pu survivre à toutes les crises sociales, parce qu’elle peut, sans cesser d’être, se plier aux nouvelles nécessités et suivre l’espèce humaine dans tous ses progrès. La monarchie a été tour à tour théocratique, militaire, féodale, politique, administrative, despotique ; la monarchie moderne se fait constitutionnelle et représentative. Les confédérations aussi pourraient, il est vrai, se modifier et se transformer selon les nécessités des temps, plus difficilement cependant que la monarchie, parce qu’il y a plus de volontés à accorder et plus d’intérêts à concilier. Dans plus d’un pays la transformation de la monarchie ne s’est accomplie qu’à la suite de terribles catastrophes. En France, c’est après un circuit de quarante ans qu’on est revenu à cette monarchie constitutionnelle que des hommes d’élite voulaient en 1789. Que deviendrait une confédération qui n’attendrait la réforme que d’une crise sociale, de la destruction violente de tout ce qui existe ? Sortirait-elle de ces ruines forte et rajeunie, comme la monarchie en Angleterre et en France ? Il est une dernière observation qui paraît échapper à nos vaillans voisins : c’est que les gouvernemens aussi sont jugés par comparaison. La Suisse est aujourd’hui entourée de gouvernemens divers sans doute, mais tous réguliers, avec des formes arrêtées et des pouvoirs suffisans. Ce n’est plus le temps où l’anarchie régnait dans les villes d’Italie, dans les villes d’Allemagne, où la