n’a que faire de son pays. Pourquoi nous rendre compte de je ne sais quelle basse-cour ruinée qui subsiste à Merida, ou des édifices gothiques de Burgos et de Tolède, constructions désordonnées, et que nos habitudes repoussent ?
« Laissons les étrangers, montés sur de mauvaises rosses, parcourir nos provinces, s’arrêtant pour prendre leurs repas dans des ventas misérables, jeûnant la plupart du temps ou forcés de se contenter de pain, d’eau et de vin, si l’on peut nommer vin ce qui remplit admirablement toutes les conditions d’une essence de poix-résine. Ces étrangers doivent se laisser voler avec satisfaction, et même bâtonner sur les grands chemins ; libres de décrire ensuite une rencontre avec des brigands espagnols, et de montrer le chef avec le scapulaire sur le sein, le tromblon à la main. Bons étrangers ! ils jettent leur argent par la fenêtre, pour se procurer de vieux bouquins (librotes), augmentant ainsi considérablement la consommation du papier gris que les susdits bouquins auraient remplacé ! Ils mettent la main sur tous les vieux tableaux dont nous ne voudrions pas faire usage pour boucher les trous de nos greniers, quand on nous les donnerait pour rien ! En échange, nous leur achetons du papier peint qui sert à donner un aspect galant à nos salons, puis d’élégantes voitures et des étoffes de laine qui nous rendent inutiles les troupeaux de l’Estramadure. Lorsque les étrangers ont consumé de longues veilles pour étudier notre histoire et pour chercher la cause de notre décadence et les moyens de sortir de l’état abject où nous nous trouvons plongés, alors nous traduisons leurs œuvres, et tout bellement, les mains lavées et la tête frisée, nous nous emparons de leurs travaux. Voilà ce qui s’appelle de la finesse. Notre orgueil national ne doit-il pas s’exalter quand nous lisons dans nos ouvrages périodiques les notices statistiques recueillies à grand’ peine par des Anglais ou des Allemands et relatifs à notre Péninsule ?
« Ces réflexions et d’autres non moins amères, que je passe sous silence pour ne pas ennuyer mes lecteurs, me venaient à l’esprit il y a peu de temps, comme j’étais appuyé sur la balustre du bateau à vapeur, et contemplant machinalement les eaux jaunes du Guadalquivir, qui, fouettées par les palettes des roues, venaient frapper les deux côtés de l’embarcation, formant des sillons profonds qui s’effaçaient loin de nous. Pour me distraire un peu et repousser les tristes pensées qui venaient m’assaillir, je fixai plus particulièrement mon attention sur le paysage serein et doux qui s’offrait partout à ma vue,