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LA SIBÉRIE SEPTENTRIONALE.

la carte la marche que nous avions faite pendant le jour, ce qui parfois n’était pas chose facile au milieu de l’épaisse fumée qui inondait notre tente. Puis venait le souper composé d’une soupe de viande ou de poisson, cuite dans la même chaudière pour toute la communauté ambulante. Enfin, nous nous couchions tout habillés, à côté l’un de l’autre, les pieds tournés vers le foyer. Seulement nous avions grand soin de changer chaque soir de chaussure, et un de nos compagnons qui avait une fois négligé de prendre cette précaution faillit avoir les pieds gelés. Le lendemain nous nous levions à six heures. On allumait du feu, on buvait encore quelques tasses de thé ; puis la tente, les ustensiles de cuisine, les instrumens étaient enveloppés sur les traîneaux, et à neuf heures nous continuions notre route.

« Le 25 février, le thermomètre était à 25 degrés. Un vent léger, un tourbillon de neige, nous fatiguaient tellement, nous et nos pauvres chiens, que nous fûmes obligés de nous arrêter. La neige tomba toute la nuit, et le lendemain notre tente était couverte d’un manteau de glace que nous eûmes bien de la peine à enlever. La nuit suivante, le froid fut si intense, que, malgré la chaleur de notre foyer et l’épaisseur de nos vêtemens, nous fûmes forcés de nous lever et de sauter dans notre tente pour ranimer nos membres engourdis. Quelques jours après, le thermomètre descendit à 13 degrés, et ce fut pour nous un heureux soulagement. »

Le 5 au soir, enfin, les voyageurs aperçoivent le cap Schelagskoi, qui était le terme de leur excursion. Ils y arrivent à travers les blocs de glace qui l’entourent, au risque de briser leur traîneau, de se perdre dans les amas de neige, ou de tomber dans des abîmes. Mais ils avaient atteint le but de leur expédition, le succès ravivait leur courage, et ils prirent avec un joyeux orgueil leurs instrumens pour mesurer la hauteur et la situation de cette dernière barrière du monde.

Tandis que M. Wrangel achevait son pénible pèlerinage, un de ses compagnons, M. Matiuschkin, s’en allait, comme lui, avec des nartes traînés par des chiens au village d’Ostrownoje, situé à environ deux cent cinquante werstes de Kolymsk. Il y arrivait au temps de la foire, et il donne, sur cette réunion annuelle de diverses peuplades, sur les lieux qu’il a parcourus, sur les mœurs qu’il a observées, des détails curieux.

Le village, situé au 68° de latitude, est entouré d’un rempart en bois qui porte le titre pompeux de forteresse. Quelques huttes occupées par des Cosaques ont le nom de casernes, et la chétive maison du commissaire doit être regardée comme un palais au milieu des