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dans l’École des Beaux-Arts, dans la salle où se distribueront les prix : évidemment les arts du dessin, la peinture, la sculpture, l’architecture, sont ici des personnages obligés, et il faut qu’un rôle soit réservé à l’émulation, cette muse des lauréats.

On s’attend, j’en suis sûr, à une scène de mythologie : jamais la fable et l’allégorie ne semblèrent mieux de saison, et la plupart des peintres n’auraient pas hésité à se placer en plein Parnasse. Peut-être auraient-ils bien fait : on peut parler même les langues mortes ; le talent peut tout ressusciter. Mais chacun suit sa nature. Or M. Delaroche, par la trempe de son esprit, par la direction de ses études, est historien plus encore que poète : ses idées se plaisent peu dans le champ des abstractions symboliques, elles revêtent plus volontiers le costume d’un pays ou d’une époque, elles s’attachent à un lieu, à une date, elles se spécialisent et se personnifient. Où d’autres verraient l’art, il aperçoit l’artiste : la sculpture, pour lui, c’est le sculpteur. Aussi, qu’est-il arrivé ? En promenant ses yeux sur cette longue muraille qu’allait couvrir son pinceau, il a vu s’y dessiner la silhouette, non pas de tel ou tel génie assis sur un nuage et tenant un attribut à la main, mais bien de tous les grands hommes qui sur cette terre ont eu le bonheur de peindre, de bâtir, ou de sculpter des chefs-d’œuvre. C’était ainsi que son sujet devait lui apparaître : c’étaient là les acteurs qu’il lui fallait. Il lui a semblé qu’il les voyait tous réunis, quel que fût leur siècle, quelle que fût leur patrie ; qu’il les entendait discourir entre eux sur leur art, et bien vite il a pris sa palette pour nous faire assister à ce dialogue des morts, en nous traduisant, sinon leurs paroles, du moins leurs traits, leurs attitudes, leurs regards, comme autant de leçons et d’exemples pour cette jeunesse avide de gloire qui chaque année viendra sur ces bancs en goûter les flatteuses prémices.

Cette manière de concevoir un tel sujet ne demande ni moins d’imagination ni moins d’esprit créateur que s’il fallait évoquer tout un cortége de divinités. Sans doute ce sont des personnages connus, des figures historiques qu’il s’agit de reproduire ; mais suffit-il d’habiller des mannequins et de leur donner des noms ? n’existe-t-il pas des traditions sur la physionomie, sur le costume, sur le caractère de chacun de ces grands artistes ? Pour les faire agir et parler avec vérité, que d’études et de recherches ! que de pénétration, que d’intelligence pour vivifier ces études ! C’est un drame où tout est à inventer et où pourtant rien ne peut être de fantaisie. Et d’un autre côté, comment, avec une série de portraits, composer une action