nelle loi du renouvellement, les Anglais lui opposent en vain la dureté de leurs habitudes et la persistance de leurs esprits ; ils souffrent en dépit d’eux-mêmes les altérations que le climat, la situation, la chaleur, l’éloignement, la nécessité, imposent à ces natures de bois ou d’acier. On cite des exemples étranges de l’influence exercée par les mœurs de l’Hindoustan sur les Anglais. Les uns se font brahmanes, les autres brahmano-chrétiens. Il y en a qui mêlent les ablutions boudhiques aux rites protestans, et qui récitent, baignés dans les eaux du Gange, l’oraison dominicale. Quelques-uns, mariés à des femmes du pays, ou séduits par les filles nautchs[1], ont adopté complètement le boudhisme, le brahmanisme ou le mahométisme. En dehors de ces exceptions extrêmes, la masse des Anglais domiciliés dans l’Hindoustan subit un changement grave. Une société nouvelle se prépare ; de là une forme politique nouvelle, une puissance, une civilisation nouvelles.
N’est-ce pas une œuvre curieuse d’observer et de prévoir ces transformations du monde, une joie austère pour l’intelligence qui gravit ces hauteurs et y respire ? Ici des peuples en chrysalide, là des régions qui se dissolvent ; plus loin des masses d’hommes qui ne sont pas même encore des larves de nations ; ailleurs des formations de sociétés vagues et qui s’ébauchent. À l’heure où j’écris, heure de curiosité et d’attente, on tracerait une précieuse carte géographique du monde moral, si l’on indiquait les degrés de maturité, de vieillesse, d’enfance, de conception ou de mort qui caractérisent les races et les sociétés diverses. Sans doute, bien des races qui semblent vivre sont mortes ; mais, dans les tombes mêmes de ces peuples qui ne vivent plus, on peut distinguer différens degrés de dissolution. Le philosophe est tenté de répéter à ce propos les burlesques paroles du fossoyeur d’Hamlet « Voyez-vous, dit le clown, les corps des cimetières sont tous morts, mais pas tous au même degré ! Votre tanneur, par exemple, est bien plus dur à se consommer que les autres ; il résiste et persiste effroyablement, tout mort qu’il soit ; il lui faut dix années pour disparaître ; il ne nous faut, à nous autres, que deux ans[2]. »
Voici bien long-temps que la société hindoustanique est morte et consommée. La singulière mission de la race anglaise qui va s’enrichir, jaunir et mourir à Calcutta ou dans les jungles, est de déposer dans ce terreau antique, composé de couches nombreuses