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HORACE.

métier de roi. Il savait d’ailleurs qu’Horace avait courageusement, et avec une sincérité bien rare, loué tous les ennemis du trône nouveau : Lucius Sextius, Quintus Delius, Pompeïus Grosphus, Cassius de Parme, et Caton, et Brutus, et tous les ennemis de la fortune d’Octave. Mais enfin il fallut se rendre : Agrippa et Mécène répondaient d’Horace ; les Géorgiques venaient d’être terminées, au grand triomphe de Virgile et d’Auguste, et ce beau poème était à lui seul toute une révolution pacifique. Non jamais l’empereur n’avait autant aimé la poésie. Jamais il n’avait mieux compris l’influence toute-puissante des poètes ; il devinait, il savait confusément qu’il aurait besoin de toutes ces louanges dans l’avenir ; il savait que son pardon dans la postérité n’était qu’à ce prix : — relever les temples ruinés, rendre aux anciennes familles leur ancien lustre, élever des bibliothèques et des portiques, rétablir l’ordre dans les finances, révoquer les lois sanglantes du triumvirat, et enfin, et surtout, se mettre sous la protection des poètes. En effet, la poésie va aussi loin que l’histoire. Elle jette son voile de pourpre et d’or sur tous les crimes et sur toutes les misères ; elle est la sauvegarde de plus d’un tyran, tout comme elle est la récompense suprême des plus royales vertus. — Après avoir vaincu tant de haines, l’empereur Auguste finit par vaincre Horace lui-même. C’en est fait, le poète proclame l’adoption qu’il a faite ; il obéit à l’enthousiasme universel, il s’écrie dans son délire que l’inspiration l’obsède, et qu’il lui faut célébrer la gloire de César, et qu’un jour, qu’avant peu il va l’entreprendre, ce poème… Poème inachevé, poème qui n’a jamais été entrepris, et que le poète Horace devait laisser au poète Virgile. Certes, Horace savait trop bien la portée de son talent pour jamais l’entreprendre, cette œuvre de longue haleine ; il était tout-à-fait l’homme de l’inspiration lyrique. Il allait par sauts et par bonds dans ce domaine éclatant de la pensée : soit qu’il rappelle aux Romains, leurs vieilles origines et leurs libertés antiques, soit qu’il honore à sa façon le courage de Régulus, soit qu’animé du feu de Pindare, il se mette à conter les dernières conquêtes de César, ou qu’il entreprenne l’éloge de Drusus, ou qu’il célèbre dans ses nobles vers le retour d’Auguste dans sa ville prosternée, ou qu’il compose les chants séculaires à la gloire d’Apollon et de Diane, ou qu’il rende au sénat d’éclatantes actions de graces pour les nouveaux honneurs que le sénat vient d’accorder au maître du monde, toujours vous trouverez l’homme inspiré, le poète fascinateur, la louange sans bassesse ; le grand écrivain qui soumet toutes choses à sa poésie, et