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Qui ploya notre langue, et dans sa cire molle
Sut pétrir et dresser la romaine hyperbole ;
Premier maître jadis sous lequel j’écrivis,
Alors que du voisin je prenais les avis,
Et qui me fut montré, dans l’âge où tout s’ignore,
Par de plus fiers que moi qui l’imitent encore ;
Mais la cause était bonne, et, quel qu’en soit l’effet,
Quiconque m’a fait voir cette route, a bien fait.
Or, je me demandais hier dans la solitude :
Ce cœur sans peur, sans gêne et sans inquiétude,
Qui vécut et mourut dans un si brave ennui,
S’il se taisait jadis, qu’eût-il fait aujourd’hui ?
Alors à mon esprit se présentaient en hâte
Nos vices, nos travers, et toute cette pâte
Dont il aurait su faire un plat de son métier
À nous désopiler pendant un siècle entier :
D’abord le grand fléau qui nous rend tous malades,
Le seigneur Journalisme et ses pantalonnades,
Ce droit quotidien qu’un sot a de berner
Trois ou quatre milliers de sots, à déjeuner ;
Le règne du papier, l’abus de l’écriture,
Qui d’un plat feuilleton fait une dictature,
Tonneau d’encre bourbeux par Fréron défoncé,
Dont, jusque sur le trône, on est éclaboussé ;
En second-lieu, nos mœurs, qui se croient plus sévères
Parce que nous cachons et nous rinçons nos verres,
Quand nous avons commis, dans quelque coin honteux,
Ces éternels péchés dont pouffaient nos aïeux ;
Puis nos discours pompeux, nos fleurs de bavardage,
L’esprit européen de nos coqs de village,
Ce bel art si choisi d’offenser poliment,
Et de se souffleter parlementairement ;
Puis nos livres mort-nés, nos poussives chimères,
Pâture des portiers ; et ces pauvres commères,
Qui, par besoin d’amans, ou faute de maris,