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LA SOCIÉTÉ ANGLO-HINDOUE.

dans les eaux confluentes du Gange et de la Djemna. Il semble que l’on ne veuille pas craindre la destruction là où l’existence est si féconde, si éclatante et si indomptable.

La tempête y est quelque chose de plus effrayant que nos tempêtes, le soleil n’y est pas ce globe d’un feu pâle et d’une flamme indulgente que nous pouvons braver ; le désert et la forêt ne ressemblent pas à nos forêts et à nos déserts. La terre et sa végétation n’ont de commun que leurs élémens constitutifs avec notre végétation et notre terre. La puissance vitale se fait jour de toutes parts, bruissant dans la nuit, rampant, volant, murmurant, s’agitant autour de nous, sortant des pores et des profondeurs du sol. Le nombre des animaux, leurs proportions, leur vitalité, leur omniprésence, vous poursuivent et vous accablent ; la nuit même est plus agitée que notre jour. « Si vous voyagez par bateau (boudjeroë) sur le Gange, dit miss Emma Roberts, et que la nuit vous surprenne, vous assistez à un formidable concert : chakals qui s’approchent en grandes troupes du bord de l’eau et qui percent l’air de leurs hurlemens aigus ; oiseaux de proie et oiseaux aquatiques poussant sans interruption de grands cris abruptes, qui retentissent avec l’éclat rauque d’un instrument de cuivre ; bruits continus, causés par la procession incessante des myriades de rats qui dévorent le navire ; bourdonnement des insectes qui se jouent sur votre tête. » Plus on s’approche des jungles ou déserts, et plus cette communauté intime de toutes les heures avec les forces vivantes et renaissantes de la nature animée apporte de fatigue au voyageur, qui pénètre avec effroi dans l’atelier même de la vie, dans son réservoir qui déborde. « Aux environs de Itaouâ, dit un voyageur, vous essayeriez vainement de vous débarrasser, fût-ce pour une seconde, de cette société incommode. Le loup et la hyène se promènent paisiblement sur votre balcon ; au pied du mur, la panthère se dresse et le porc-épic se tapit ; sur le toit, que les habitans nomment tchopper, toute une population d’écureuils, de rats et de serpens, fait sa demeure habituelle, et les poutres qui soutiennent ce tchopper servent à la fois de sanctuaire et de champ de bataille aux chats sauvages, aux grands lézards nommés gho-saoumps, et aux vis copras, qui se poursuivent et s’exterminent dans ces solitudes avec un vacarme épouvantable. Par une précaution fort délicate, les bipèdes indigènes qui partagent ces retraites avec les quadrupèdes et les reptiles, ont soin d’étendre au-dessous des poutres et d’attacher aux quatre coins de la corniche un drap qu’ils tendent de leur mieux et qui sert de plancher à l’autre compagnie, reléguée au premier étage.