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Page:Revue des Deux Mondes - 1842 - tome 29.djvu/176

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REVUE DES DEUX MONDES.

teinte grise sur le marbre des monumens. Dans ces plaines fertiles et inondées, on regrette l’aridité salutaire de l’Attique, qui laisse au marbre sa blancheur, ou lui donne cette belle teinte dorée qu’on admire au Parthénon. Du reste, on retrouve ici la merveilleuse lumière de l’Attique, cette transparence incroyable de l’air, ces reflets violets et roses qui, au coucher du soleil, embellissent les sommets de l’Hymette et du Penthélique. Les ruines et la nature rappellent également que l’Ionie est sœur d’Athènes. Mais, dans l’art, Athènes a fait le pas décisif par lequel on arrive du très beau au parfait. Athènes est le génie ionien perfectionné, comme Sparte fut l’exagération du génie dorien.

Nous allâmes coucher dans un village grec, où nous fûmes mieux logés que nous ne l’avions été jusqu’alors. Cette fois, nous avions un café à notre disposition. Notre chambre à coucher était l’espèce d’estrade qu’on trouve dans tous les cafés de l’Orient, et sur laquelle on s’assied ou on s’accroupit pour fumer la pipe ou le narguilé. Nous étions là comme les acteurs sont placés vis-à-vis du parterre, et le parterre ne nous manquait point. Une partie de la population regardait avec beaucoup de curiosité les Francs ôter leurs bottes ou se laver les mains. Cette population était grecque, c’est-à-dire chrétienne ; mais, parmi ceux qui la composaient, bien peu connaissaient un autre idiome que le turc. Il en est souvent ainsi dans le pays que nous avons parcouru, et, quand ces Grecs d’Asie veulent parler leur langue, ils prononcent des mots barbares. Ce qu’on pourrait appeler le dialecte ionien moderne n’a rien, je vous jure, de la suavité du langage d’Hérodote.

Pour aller à Sardes, il fallait passer de nouveau par Éphèse ; mais nous n’eûmes point sujet de nous en repentir. Le chemin, qui nous avait plu par un temps assez triste, parcouru de nouveau par un temps admirable, nous enchanta, surtout vers la fin ; nous descendions à pied une portion escarpée de la route, rendue plus difficile encore au pas des chevaux par un reste de pavé en très mauvais état ; nous rencontrâmes le lit d’un torrent avec lequel la route se confondait. Rien de plus frais, de plus délicieux que cette route perdue dans un ruisseau sous d’impénétrables ombrages ; un peu plus loin, dans un endroit où elle côtoyait le courant d’eau, qui serpentait ici à une certaine profondeur, nous aperçûmes tout à coup dans les airs, jeté d’une montagne à l’autre, se détachant sur la verdure et se dessinant sur le ciel, un aqueduc romain à deux étages ressemblant en petit au pont du Gard, et aussi gracieux que celui-ci est sublime. Au-dessus