un plateau où est un petit village qui porte le nom de la montagne elle-même, Bost-Dag. Il était entièrement désert. Les habitans n’y demeurent que durant l’été. L’hiver, ils descendent à Berghir, et on appelle hiver l’admirable saison dont nous jouissions pendant notre voyage. Je me croyais sur une alpe de la Suisse parmi des chalets. Je me prenais aussi à me croire en France, au milieu de ces prés entourés de petits murs en pierres sèches, et plantés de noyers, de peupliers et de saules. L’image de cette patrie qu’on fuit quand on voyage est douce à retrouver.
Nous étions partis tard de Bost-Dag, par suite d’un complot d’Ahmet et de Marchand, qui voulaient nous forcer à nous arrêter en route, et le soleil baissait quand nous commençâmes à descendre le revers du Tmolus. Nous ne tardâmes pas à mettre pied à terre, et nous eûmes bientôt laissé derrière nous chevaux et bagages, nous avançant vers la plaine de Sardes, à travers les innombrables sinuosités d’un sentier suspendu constamment au-dessus des plus magnifiques gorges de montagnes qu’on puisse voir. La nuit nous surprit dans un bois de mélèzes qui ressemblait à un beau jardin anglais. Nous continuâmes notre route au clair de lune. Enfin nous fûmes rejoints par les chevaux, et nous ne tardâmes pas à trouver un poste de soldats où Marchand avait l’intention de nous faire passer la nuit ; mais nous avions résolu d’arriver à Sardes, ou du moins le plus près possible de Sardes, et, sans vouloir rien écouter, nous nous mîmes de nouveau à marcher en avant, ayant pour nous montrer la route un soldat qui conduisait son cheval par la bride, et m’adressait constamment la parole en turc sans pouvoir se persuader que je n’entendais pas un mot de tout ce qu’il me disait.
Notre situation était vraiment singulière. Marchant, à neuf heures du soir, dans un chemin qui par momens se confondait avec le lit desséché d’un torrent, à travers cailloux et rochers, avec un guide que nous ne pouvions comprendre, et allant ainsi à la découverte d’un lieu inhabité où nous devions passer la nuit, notre meilleure chance était l’hospitalité incertaine des Turcomans, dont nous vîmes les feux briller çà et là dans la plaine, quand nous atteignîmes enfin notre but après une marche rapide et fatigante d’environ cinq heures. Là, nous nous arrêtâmes pour attendre chevaux, postillon et drogman, nos lits portatifs et les provisions pour le souper. Soliman, — c’était le nom du soldat turc qui nous accompagnait, — très beau et très bon garçon, aussi exact à ses dévotions qu’Ahmet était philosophe ; Soliman, voyant que nous mettions pied à terre, en fit autant, nous adressa, suivant sa coutume, un discours en turc ; puis, ce qui valait