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Page:Revue des Deux Mondes - 1842 - tome 29.djvu/201

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HISTORIENS MODERNES DE LA FRANCE.

ces nations. Quant à la France, ayant absorbé et neutralisé les races l’une par l’autre, « ayant méridionalisé le nord et septentrionalisé le midi, » elle est devenue, pour son bonheur et pour sa gloire, « ce qu’il y a de moins simple, de moins naturel, de moins superficiel, c’est-à-dire de moins fatal, de plus humain, de plus libre dans le monde. »

Si ce nouveau discours sur l’histoire universelle a peu de valeur comme synthèse historique, il n’est pas sans prix comme déclamation littéraire. À son apparition, l’enflure dithyrambique de certains passages était justifiée par l’effervescence générale des esprits ; les pages qui caractérisent les populations et qui mettent en relief les accidens physiques, révélaient une riche imagination servie à souhait par une plume exercée ; l’érudition des notes était piquante ; quelques accens sympathiques trouvèrent des échos dans la foule ; en un mot le petit livre réussit, et eut les honneurs de la réimpression.

« Rome a été le nœud du drame immense dont la France dirige la péripétie. » Ces derniers mots de l’Introduction annonçaient des études sur Rome, comme préparation à de plus grands travaux sur l’histoire de France. En effet, M. Michelet ne tarda pas à faire paraître son Histoire romaine en deux volumes, qui embrassent toute la période républicaine. La tentative était légitime. Malgré l’immensité des travaux qu’elle a consacrés à l’antiquité latine, la France n’avait pas (elle n’a pas encore) le livre que prétendait lui donner M. Michelet. La plupart de nos historiens s’étaient contentés de produire une paraphrase plus ou moins élégante des textes classiques ; ils en avaient agi de la sorte, non par faiblesse d’esprit, mais par système. Ce qu’ils aimaient de l’antiquité, c’était sa littérature, et ils croyaient faire assez bien connaître le passé en reproduisant, comme de fidèles échos, les idées et le langage noblement accentué des hommes antiques. Telle fut la méthode de Rollin, et c’est pour cela même qu’il restera sympathique, malgré les progrès de l’archéologie. Quant aux partisans de la science exacte (Montesquieu excepté), ils n’avaient écrit que pour les érudits de profession, prudemment portés, en fait de style, à une mutuelle indulgence, et satisfaits dès qu’ils se comprennent entre eux. Chez nous, d’ailleurs, la critique scientifique, drapée dans sa modestie officielle, qui contraste avec la morgue de l’érudition allemande ; notre critique, ingénieuse, infatigable, mais travaillant sans ensemble, exhumant les faits un à un pour les ranger pieusement dans les mémoires d’une académie, comme de saints débris dans un reliquaire, n’avait jamais