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Page:Revue des Deux Mondes - 1842 - tome 29.djvu/21

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LA SOCIÉTÉ ANGLO-HINDOUE.

le même poème le Dieu suprême (Krichna), je suis la création et la dissolution. Toutes choses sont en moi et je suis en toutes choses. Je suis humidité dans l’eau, lumière dans les astres, prière dans les Vedas, son dans l’atmosphère, humanité dans l’homme, odeur dans les fleurs, gloire dans la source de la lumière. En toutes choses, je suis la vie, éternel germe de la nature toujours renaissante. » Certes, la métaphysique modeste, timide et analytique du protestantisme anglican avait peu de prise sur des imaginations nourries de théories semblables. Les brahmanes répondaient aux missionnaires, qui les accusaient d’idolâtrie, que leurs idoles n’étaient que des symboles, et que ces têtes monstrueuses, ces anomalies d’une sculpture contre nature, n’indiquaient point un culte infernal, mais voilaient une allégorie métaphysique. Ce que nous connaissons de la poésie hindoustanique s’accorde avec les idées que nous venons d’émettre, et correspond avec cette puissance que rien ne règle et cette grandeur que rien ne limite.

Les fêtes de ce peuple, ses jeux, ses cérémonies, portent le même caractère. « Il faut, dit le missionnaire Dubois, voir à Bénarès, dans cette Rome du brahmanisme, l’illumination ou douwallie en l’honneur de Latchmi, déesse de la fortune : on saura comment les Hindous comprennent la splendeur des réjouissances publiques. Sur tous les toits des édifices, maisons, palais, cabanes, de petites lampes de terre (chiraugs) sont placées aussi près l’une de l’autre que possible ; tours et tourelles, frontons et toitures, mosquées et pagodes, tout semble construit avec des étoiles ; c’est une cité du dieu de la flamme, cité dont les contours lumineux reflètent dans les eaux du fleuve une splendeur de fées qui ne peut être décrite. » Toutes les vergues des vaisseaux et des bateaux portent de ces lampes, et les longs sillons de feu qui suivent le cours des rues, qui marquent les mouvemens des édifices, qui reproduisent les caprices et les variétés pittoresques de l’architecture, ces coruscations blanchâtres tremblant sur l’azur noir du ciel, ces ondulations argentées qui peignent de nouveau dans l’onde la cité lumineuse, cette grandeur chaste, cette poésie en action qui fait étinceler toute une vieille ville sainte, condamnent sans pitié la prétention et la recherche de nos illuminations européennes, chargées d’inutiles et grossiers ornemens, et dont les masses de lumières font tache au milieu d’une ombre opaque et d’une épaisse fumée.

Voilà quel pays et quelle race la compagnie des Indes est venue régir. Les musulmans, les Persans et les Grecs, tour à tour pos-