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mais des ravages réguliers, périodiques ; ils usaient leurs ennemis plutôt qu’ils ne les domptaient, ils brisaient à la longue leur force et leur élan. Le souvenir le plus populaire qui soit resté de ces guerres, c’est celui d’une défaite, Roncevaux. » Si Charlemagne, au faîte de la gloire et de la puissance, exerçant le pouvoir souverain dans presque tous les pays qui avaient composé l’empire d’Occident, hésite à recevoir le titre d’empereur, qui lui est décerné par une triple acclamation du peuple romain, c’est de sa part une hypocrisie puérile, une comédie préparée. En somme, son plus grand mérite fut celui de Louis XIV, de vivre long-temps. « Institutions, gloire nationale, tout lui fut rapporté ; les tribus même qui l’avaient combattu lui attribuaient leurs lois, des lois aussi anciennes que la race germanique. » C’est comme par hasard que les savans les plus illustres de l’Europe se rencontrent à la cour du roi des Franks. Le recueil des Capitulaires contient, sous le nom de Charlemagne, un grand nombre de lois et de mandemens concernant le droit civil, les affaires ecclésiastiques, l’administration, l’économie publique ; mais l’œuvre législative est mise en suspicion comme la gloire militaire. « Peut-être, dit M. Michelet, ces actes qui portent tous le nom de Charlemagne, ne font-ils que reproduire les capitulaires des anciens rois de France : il est peu probable que les Pépins, que Clotaire II et Dagobert aient laissé si peu de capitulaires ; que Brunehaut, Frédégonde, Ébroïm, n’en aient point laissé. Il en sera advenu pour Charlemagne ce qui serait arrivé à Justinien, si tous les monumens antérieurs du droit romain avaient péri. Le compilateur eût passé pour législateur. » Après le réquisitoire de M. Michelet contre le rénovateur de l’empire d’Occident, contre le héros chevaleresque du moyen-âge, il faut s’empresser de relire cette phrase qui résume une des plus belles leçons de M. Guizot : « L’activité, une activité universelle et infatigable, le besoin de penser à tout, de porter partout à la fois le mouvement et la règle, c’est le vrai, le grand caractère du règne de Charlemagne, le caractère que lui-même et lui seul imprime à son temps. »

Ne semble-t-il pas que M. Michelet, dans la première phase de son talent, était tourmenté du vague désir de confisquer l’histoire à son profit ? On le voit mutiler impitoyablement les types consacrés, les idées reçues, comme pour se ménager la gloire de tout reconstruire. Il est un prince qui, couronné à quinze ans, contracte, malgré les grands qui l’obsèdent, malgré sa mère et ses plus proches parens, un mariage politique ; un prince qui, en peu d’années, a fait rentrer