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Page:Revue des Deux Mondes - 1842 - tome 29.djvu/225

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HISTORIENS MODERNES DE LA FRANCE.

Chaque fois qu’un incident lui offre des ressources poétiques, il s’en empare, lui trace un cadre, prodigue la couleur, compose enfin un tableau si saillant, qu’il semble se détacher du tissu général, comme ces peintures qui ont trop de relief. Il y a ainsi, dans les trois derniers volumes, beaucoup de petits épisodes et trois grands drames : les Templiers, morceau d’autant plus remarquable que sa conclusion sur les causes réelles et apparentes de la suppression de l’ordre a été généralement acceptée ; la folie de Charles VI, tragédie lugubre dont le dénouement semble devoir être l’anéantissement de la France ; et, dans le cinquième volume récemment publié, Jeanne d’Arc, qui devait être le chef-d’œuvre de M. Michelet, parce que, cette fois, l’histoire pouvait devenir un beau et grand poème, sans que la réalité en souffrît. Nous voudrions faire comprendre à cette occasion avec quel art l’auteur sait animer ses personnages. Au lieu de les introduire d’emblée dans son récit pour les juger des hauteurs de la science, il les laisse naître et grandir sous les yeux du lecteur. L’être supérieur, le héros dans le drame qu’il déroule, est, comme à la scène, le centre autour duquel gravitent les acteurs secondaires jusqu’aux derniers figurans. Ce mouvement général et continuel communique à l’esprit une excitation si vive, qu’on rêve, en lisant, au-delà de ce que le livre exprime.

M. Michelet sait employer, sans déroger à la gravité du récit, tous ces petits incidens de la vie commune que les historiens abandonnent d’ordinaire à la fiction. Il est impossible, par exemple, de lire le chapitre qui sert d’introduction à la belle légende de Jeanne d’Arc sans être transporté en plein XVe siècle, au milieu de la naïve population de Vaucouleurs. L’est de la France est devenu un royaume bourguignon ; l’ouest et le centre subissent le joug des Anglais. Une seule ville, Orléans, a fait jusqu’alors bonne contenance ; mais, bloquée strictement et menacée de la famine, elle commence à se lasser de son héroïsme, et déjà on a découvert des trous pratiqués dans la muraille pour donner entrée aux ennemis. La France va périr : qui la sauvera, si ce n’est Dieu ? C’est alors que bien loin, à quatre-vingts lieues du sanglant théâtre, une fille des champs, timide et recueillie jusqu’alors, va dire à son père qu’elle a mission de sauver la France, qu’elle doit commencer son œuvre par la délivrance d’Orléans, et conduire ensuite le dauphin à Reims pour l’y faire sacrer. L’historien ne manque pas de faire observer que la merveilleuse fille voit tout d’abord où il faut frapper pour trancher le nœud politique : ce qui fait l’indécision du peuple et sa faiblesse, c’est son embarras à choisir un