Page:Revue des Deux Mondes - 1842 - tome 29.djvu/232

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
228
REVUE DES DEUX MONDES.

des personnages historiques avec leur physionomie propre et le reflet de leur entourage, d’ouvrir dans le passé des perspectives nouvelles, M. Michelet doit tenir un rang très honorable parmi les poètes. Malheureusement cette diversité d’aptitudes, cette prétention de tout expliquer et de tout dépeindre, semble avoir été nuisible à l’historien proprement dit. Toujours dominé par son imagination, incapable de résister à l’inspiration du moment, M. Michelet a travaillé sans plan général et sous des influences diverses ; il n’a pas su donner au monument qu’il élevait la majesté qui résulte d’une harmonieuse composition ; il a ignoré le grand art de proportionner les développemens à leur importance, de distribuer les faits de manière à ce que le lecteur puisse saisir les impressions reçues, et conserver de ses études un souvenir profitable ; c’est-à-dire qu’en prodiguant les nuances brillantes, M. Michelet a négligé jusqu’ici les qualités essentielles qui font la noblesse et l’utilité du genre historique.

On peut donc trouver plaisir aux récits de M. Michelet ; il y aurait danger à les prendre pour modèles. S’il a rencontré des effets séduisans que nous avons signalés avec impartialité, c’est que sa manière est instinctive, et qu’elle se combine chez lui avec d’heureux dons naturels qui en corrigent le vice ; mais cette manière réduite en système n’aboutirait qu’à une effervescence désordonnée, au ridicule sans compensation. À défaut de l’autorité qui manque à nos paroles, c’est pour nous une bonne fortune de pouvoir citer quelques lignes où on sentira cette gravité magistrale, ce bon sens éprouvé, qui ne permettent pas la réplique. Ces lignes, nous les copions dans le dernier ouvrage de M. Augustin Thierry[1]. « Il peut se rencontrer un homme que l’originalité de son talent absolve du reproche de s’être fait des règles exceptionnelles, et qui, par des études consciencieuses et de rares qualités d’intelligence ait le privilége de contribuer à l’agrandissement de la science, quelque procédé qu’il emploie pour y parvenir : mais cela ne prouve pas qu’en histoire toute méthode soit légitime. La synthèse, l’intuition historique doit être laissée à ceux que la trempe de leur esprit y porte invinciblement et qui s’y livrent par sentiment, à leurs risques et périls : elle n’est point le chemin de tous ; elle ne saurait l’être sans conduire à d’insignes extravagances. »

Il nous reste à déclarer, pour être juste, que le genre d’investigation adopté, à l’égard de M. Michelet, dans le but de le faire con-

  1. Récits des temps mérovingiens, partie critique, t. Ier, p. 213.