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Page:Revue des Deux Mondes - 1842 - tome 29.djvu/242

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REVUE DES DEUX MONDES.

cadence coupée à temps, avec un sentiment vrai sous tout cela : c’est l’atticisme de la poésie. On le néglige trop, il semble qu’à présent on l’ignore. Mlle Bertin, artiste et femme, est faite pour le sentir.

Il y a de ces mots que je n’aime pas à la fin des vers, gloutons, béant, infâme, mots trop crus, trop bruyans et claquans, pour ainsi dire, qui sont faits pour déplaire, à moins qu’il n’y ait nécessité expresse dans le sens de la pensée, et qu’on ne veuille à toute force insister dessus : mais, quand on ne les emploie qu’à titre d’épithète passagère et courante, ou d’utilité de rime, ils me font l’effet d’un cahotement, d’une détonnation.

Un certain besoin de composition et d’art, une certaine volonté et préoccupation de lyrisme, font quelquefois qu’on prête à l’observation naturelle plus qu’elle ne donne et ne renferme. Après une charmante pièce, et toute vive, toute d’allégresse, sur le Printemps :

Le voilà ! c’est bien lui ; de ses ailes de fleurs
Tombent sur le gazon de joyeuses couleurs… ;

après ce premier chant que tout le monde comprend et volontiers répète, en vient un, comme pendant, sur l’Automne et sur la mélancolie. Très bien. L’automne a sa tristesse à coup sûr, et dispose aux langueurs mourantes. Mais cette tristesse de l’automne est voluptueuse encore ; tous ces fruits qui mûrissent et tombent, et cette grappe qui rit, n’ont rien de chastement mystique, ni qui appelle naturellement la séraphique extase. C’était le temps des Bacchanales et des orgiaques amours dans l’antiquité. Le Seigneur (au sens spiritualiste et chrétien) n’est dans l’automne plus que dans le printemps, que parce qu’on le veut bien. Il résulte de ces interprétations voulues une impression contestable dans l’esprit du lecteur, ce qu’il ne faut jamais.

Mais c’est assez payer ma dette de critique. Ces vers qui, en somme, rendent plusieurs des qualités éminentes de la poésie moderne et n’en ont que les défauts modérés ; ces vers qui, bien que venus tard, se rattachent au beau moment de l’école, à son berceau même, et nous reportent à bien des années en-deçà, nous sont une occasion peut-être assez naturelle d’en repasser d’un coup d’œil toute la carrière.

Dès 1819, l’école nouvelle en poésie éclot et s’essaie ; de grands noms se dessinent déjà. Mais ce n’est que vers 1828 que cette école (j’emploie souvent ce vilain mot pour abréger) a pleine conscience et science d’elle-même, qu’elle s’organise avec plus d’étude et de sérieux, qu’elle marche en avant d’un air d’ensemble, chacun sur son point,