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SAINT-ÉVREMOND.

ame entre ses mains. Je laisse à mon exécuteur testamentaire le soin de faire enterrer mon corps, sans pompe[1], en la manière qu’il trouvera le plus convenable, etc. » Puis il mourut, sans bravade, sans effroi, en causant avec ses amis. (20 septembre.) Il avait alors quatre-vingt-dix ans cinq mois et vingt jours.

Il n’y a point ici d’épitaphe à faire, et l’on aurait mauvaise grace à paraître protéger un esprit de cette trempe dans un final larmoyant. Cependant, sans injurier tout-à-fait le public, qui n’est pas forcé, après tout, de savoir par cœur l’histoire et les titres de tout homme qui a tenu une plume, on peut bien lui demander compte de l’indifférence oublieuse avec laquelle il a traité celui-ci. Aujourd’hui surtout qu’on donne si facilement du grand homme, qu’il soit permis de réclamer une place dans ce Panthéon quelque peu banal pour celui qui a le mieux représenté sans aucun doute notre esprit contemporain, entre les subtilités du jansénisme et les colères de l’Encyclopédie. Ce n’est pas là une question de sentimentalité, et nous ne cherchons pas à évoquer d’ombre gémissante. Notre philosophe normand, s’il revenait au jour, fermerait peut-être bien encore sa porte au nez des Barbins de cette époque, et s’inquiéterait plus, à coup sûr, de son heure de vie que de ce que nous appelons la gloire. Mais pour nous, dans l’intérêt de notre instruction comme de notre goût, nous sommes tenu de rappeler ici d’un jugement rendu par défaut. Les esprits parfaitement sains ne sont pas chose si commune, dans le passé tout aussi bien que dans le présent, pour qu’on ait le droit de passer outre quand par hasard il s’en rencontre quelqu’un. Pour répéter en l’affaiblissant un mot célèbre, c’est plus qu’une injustice, c’est une maladresse.


J. Macé.
  1. L’Angleterre lui fit néanmoins les honneurs de Westminster. C’était un hommage d’assez bon goût. En lui donnant une place à côté de ses grands hommes, elle semblait se l’approprier, puisque la France n’en avait pas voulu.