Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1842 - tome 29.djvu/294

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
290
REVUE DES DEUX MONDES.

coiffeur, et il ne rougit pas de l’être. Comme le fameux barbier andaloux, le coiffeur gascon, laissant la fumée aux sots qui s’en nourrissent, et la honte au milieu du chemin, tient boutique ouverte de poésie et de frisure, unit aux honneurs de la plume l’utile revenu du rasoir, va philosophiquement riant de tout, faisant la barbe ou les cheveux à tout le monde, et ne croyant pas que l’amour des lettres soit incompatible avec l’esprit des affaires.

Et pourquoi veut-on que Jasmin aille à Paris ? Pour y gagner de l’argent, beaucoup d’argent. Hélas ? dit-il, je le garderais mal, je le dépenserais vite.

Sâbi pas soulomen counserba de pessetos.

Je ne sais pas seulement conserver de petites pièces.

D’ailleurs la richesse subite a de grands dangers pour un pauvre ouvrier comme lui.

Des perbenguts boudroy siègre la modo,
Beleou bendroy glourious, fièrrous ;
Escaougnayoy lous grands segnous,
Dins un bel char fayoy la godo ;
Renegagoy près de las grandos gens
Mous biels amits è mous parens,
E fayoy ta pla que dins gayre
Minjayoy tout moun amassat ;
E de riche, fier, mesprezayre,
Tournayoy paoure è mesprezat.

Des parvenus je voudrais suivre la mode,
Peut-être deviendrais-je glorieux, fier ;
J’imiterais les grands seigneurs,
Dans un beau char je ferais la roue ;
Je renierais auprès des grandes gens
Mes vieux amis et mes parens,
Et ferais si bien que dans guère
Je mangerais tout mon amassé ;
Et de riche, fier, mépriseur,
Redeviendrais pauvre et méprisé.

La pièce entière est de ce ton ; il faudrait citer chaque vers pour en faire sentir tout l’intérêt. C’est surtout quand Jasmin revient sur lui-même, sur sa ville natale, que sa voix a de la grace. Il ne rit plus alors, il n’est plus ironique, il s’attendrit sur les souvenirs d’enfance qui l’entourent et qu’il lui faudrait quitter. Il aime à songer