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Page:Revue des Deux Mondes - 1842 - tome 29.djvu/334

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REVUE DES DEUX MONDES.

Le soir, la maison du consul-général, M. Challaye, nous sera d’une grande ressource ; on y est reçu avec une obligeance parfaite ; le salon est une sorte de vestibule ouvert, véritable asile de la fraîcheur.

Mes firmans de voyage sont arrivés avec une excellente lettre de l’amiral Roussin. Je vais me munir ce soir d’un Tartare ou Kawas, espèce de maréchal-des-logis, et d’un interprète ; le cuisinier servira pour tous.

La ville est divisée en deux quartiers assez distincts : celui des Francs, qui avoisine le port, et celui des Turcs, Arméniens et Juifs, qui est situé sur le penchant de la colline. La vue, si nouvelle pour nous, de ces maisons d’une construction toute particulière, basses, à un étage, en bois, bariolées, garnies de balcons ou plutôt de tambours saillans sur la rue, le spectacle de cette population bigarrée, de ces costumes bizarres qui distinguent les nations et les castes, et que notre civilisation monotone n’a guère encore modifiés, nous ont causé une surprise et un plaisir qui ont dépassé notre attente. Nous ne nous lassions pas surtout de contempler les figures des Turcs assis sur les petites estrades qui bordent les cafés, et fumant avec gravité leur narguilé. À la fin de la journée, nous avions déjà pu observer chacune des choses qui constituent l’existence civile des habitans, à l’exception pourtant des harems ; mais nous en apercevions les fenêtres grillées, et de temps à autre des femmes turques couvertes de voiles blancs, le front caché par une mousseline noire empesée, passaient auprès de nous comme des ombres. Notre cicerone juif nous expliquait tout avec beaucoup d’intelligence ; il nous fit approcher d’une mosquée, dont nous pûmes voir l’intérieur à travers une fenêtre. Une coupole à laquelle est accolé le minaret d’où l’iman annonce la prière, surmonte une salle dépourvue de figures et d’ornemens ; le pavé est couvert de tapis et de nattes. Les mosquées sont ordinairement entourées d’un cimetière ; d’autres fois les champs des morts en sont isolés ; il y en a plusieurs épars dans la ville, et la végétation admirable qui les ombrage forme autant d’îles de verdure qui contrastent avec les toits rouges des maisons : on y voit des cyprès et des platanes gigantesques, des azédarachs en fleurs qui répandent une odeur excellente de lilas, des térébinthes si gros que j’avais de la peine à reconnaître cette espèce d’arbre, qui, dans le midi de la France, ne dépasse guère huit ou dix pieds.

Le pont des Caravanes, situé sur la rivière du Mélès, m’a paru, je l’avouerai, au-dessous de sa réputation comme site ; c’est un pas-