Page:Revue des Deux Mondes - 1842 - tome 29.djvu/345

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
341
LETTRES D’ORIENT.

nous a procuré, entre autres choses, le luxe d’une table, meuble peu connu des Orientaux. Mme Barbon a été d’une grande beauté ; nous lui avons trouvé de la ressemblance avec notre Grisi.

Je t’écris d’un balcon qui donne sur le golfe ; c’est une de ces belles vues de mer dont on ne se lasse jamais. Scala-Nova était jadis, à ce que l’on croit, la ville grecque de Néapolis ; c’est une ressemblance de plus que ce pays peut revendiquer avec Naples, car les deux villes portent le même nom en grec.

Adieu, je vais quitter pour un ou deux mois les bords de la mer. Il me semble que c’est seulement à présent que je m’éloigne réellement de toi et de la France, car la rapidité avec laquelle j’ai traversé cette mer l’a réduite pour moi aux proportions d’un large fleuve au-delà duquel je crois encore apercevoir mon pays.

Aïdin Guzelhissar.

Tu sais que d’ordinaire je voyage consciencieusement ; je me rends, par exemple, ce témoignage, de n’avoir pas jusqu’ici manqué une seule des plantes dignes d’attention que j’ai rencontrées ; pour cela, il m’a fallu descendre de cheval cent fois par jour, sans compter l’aide que me fournissent à cet égard nos domestiques, que j’ai formés à la manœuvre ; aussi, ma collection se grossit-elle beaucoup.

Après Scala-Nova, la première halte est à Sokia. Aussi loin que la vue peut s’étendre sur une plaine parfaitement nivelée, on n’aperçoit que de mauvais pâturages où errent quelques hordes à demi sauvages. Les villages, pour la plupart, ne sont composés que de pauvres maisons basses, construites en terre ou même avec les branchanges entrelacés du vitex agnus castus, l’arbrisseau le plus commun de ces contrées, qu’accompagne souvent le laurier-rose, parure des ruisseaux et des marécages. Au nord et au midi, la vallée est bordée de hautes montagnes, dont plusieurs conservent la neige pendant l’été.

Gumusch, situé à une lieue environ des ruines de la ville antique de Magnésie du Méandre, est une station misérable, d’où la famine et les insectes ont failli nous chasser avant que nous eussions achevé l’exploration qui nous y avait attirés. Nous étions pourtant logés dans le castel de l’aga de l’endroit, maison en planches construite jadis dans un assez bon goût oriental, avec des galeries supportées par des colonnettes, mais aujourd’hui délabrée et menaçant ruine de toutes parts ; l’escalier qui conduit au premier étage aurait occasionné quelque accident, par suite des fréquentes allées et venues que nécessi-