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LETTRES D’ORIENT.

nous munir de couchers portatifs, car nous n’aurions eu, pour nous reposer, que des nattes ; encore, si l’on pouvait dormir tranquillement sur son matelas ! mais toutes les maisons sont infestées d’insectes ; et quant à coucher en plein air, je ne m’y résous, dans la crainte des nuits trop fraîches, qu’à la dernière extrémité, malgré le secours de ma seconde couverture et de ma moustiquaire.

Certainement ce que nous faisons dépasse tant soit peu les forces et la patience des voyageurs ordinaires. Nous parcourons d’ailleurs des contrées très peu connues, où les cartes sont pour ainsi dire à chaque pas en défaut. Malgré l’habitude que possède M. Texier du pays en général, nous nous sommes souvent trompés sur les distances ; mais, sans lui, il eût été vraiment téméraire d’entreprendre une pareille tournée. Non pas qu’il y ait du danger ; nulle part nous n’avons rencontré les périls qu’on pourrait supposer dans des lieux aussi écartés. Seulement il y a un apprentissage tout spécial à faire en Orient, et l’expérience qu’on peut avoir acquise en Allemagne et en Italie ne sert pas à grand’chose, quand de Smyrne on s’enfonce, comme nous l’avons fait, dans le cœur de l’Asie mineure. Aujourd’hui nous serions capables de faire à notre tour des élèves.

Ce qu’il y a de pis, c’est que l’état sanitaire du pays oblige souvent à une foule de précautions gênantes ; la peste règne toujours ou couve en quelque coin : elle est endémique dans l’Orient. D’Aïdin jusqu’ici, nous avons évité avec soin les villages suspects, et il y en avait plusieurs dans la vallée du Méandre et ses dépendances, que nous venons de quitter. Il en est un entre autres (Bullada) où nous devions coucher il y a deux jours, mais d’où le prudent Méhémet, notre kawas, nous a écartés aussitôt qu’il eut pris ses informations ordinaires. Grace à lui, nous avons pu ne rien changer à l’ensemble de notre itinéraire depuis Aïdin, et voir, sans accident, un pays que nous aurions beaucoup regretté de ne pas connaître. Nous sommes actuellement dans une contrée séparée de la vallée du Méandre par des montagnes, et très saine ; d’ici à Constantinople, il n’y a pas la moindre contagion. Au reste, il faudrait absolument renoncer à parcourir le Levant si l’on se préoccupait de la peste outre mesure ; dès Syra, on nous en avait fait un épouvantail ; à entendre quelques personnes, elle sévissait à Smyrne ; tout s’est réduit à un petit nombre de cas bientôt comprimés. À moins que la maladie ne soit très répandue (et alors on reste chez soi), on en est quitte pour l’ennui de se garer sans cesse. On s’y accoutume comme à la mauvaise chère, comme aux mauvais gîtes, et l’on a, en définitive, la satisfaction