La conversation, qui avait lieu par l’intermédiaire de notre interprète juif, fut assez animée. Il était facile de reconnaître dans notre interlocuteur un homme de bonnes manières, qui sait son monde. Mais tout ne s’est pas borné de sa part à des complimens ; peu de temps après qu’il nous eut quittés, nous avons vu arriver tout un dîner qu’il nous envoyait en cadeau.
Le lendemain, nous sommes restés à Koulah ; nous ne pouvions pas faire moins pour un mutselim aussi aimable. D’ailleurs, la situation de la ville au pied d’un ancien volcan dont les coulées sont aussi parfaitement conservées qu’en aucun lieu d’Auvergne, et quelques sculptures antiques que M. Texier avait entrevues la veille, auraient suffi pour nous retenir. Une fois les courses faites, nous sommes allés rendre au mutselim sa visite ; il nous attendait, et nous reçut avec de grands honneurs ; les tambours battaient aux champs, et toute sa maison était sur pied, en grande tenue. Ce que nous avons ensuite fumé de pipes et bu de petites tasses de café est incalculable. Quand nous avons pris congé, nous avons trouvé dans la cour de beaux chevaux sellés pour nous mener à la promenade, et nous sommes sortis en caracolant ; pour nous qui depuis si long-temps montions de pauvres chevaux éreintés, c’était un plaisir de prince. En rentrant, nous avons délibéré entre nous sur ce que nous pourrions faire pour reconnaître tant de politesses, et nous avons pris le parti d’envoyer à l’aimable mutselim, par l’intermédiaire officiel de notre kawas, un de nos fusils à deux coups ; notre présent fut très bien reçu, et, bientôt après, un dîner plus copieux, plus soigné que le premier, accompagné de petits cadeaux pour chacun de nous et d’un énorme sac de tabac à fumer, nous a été envoyé de la part du mutselim. Parmi les mets s’en trouvait un des Mille et une Nuits, une espèce de coulis de volailles à l’eau de roses. Ismaël nous avait envoyé aussi du porter de Londres, que nous ne nous attendions guère à boire au fond de la Phrygie ! Dans la soirée, nouvelle visite du mutselim ; nous étions tous en belle humeur, M. de Mieulle avait fait du punch, et la conversation dura jusqu’à minuit. Nous nous séparâmes enfin très bons amis, et non sans lui avoir fait promettre de venir nous voir à Paris, ce qu’il fera probablement, si son gouvernement le lui permet. Un beau jour, nous verrons arriver chez nous Ismaël-Bey, porteur de ma carte de visite, que je lui ai laissée comme souvenir, avec la date de notre passage à Koulah.